De Dushanbé à Khorog au Tadjikistan

Après deux mois, nous nous retrouvons Sueli et moi à Dushanbé la capitale du Tadjikistan. Sueli y est arrivée après un long voyage à travers la Turquie, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, la traversée de la mer Caspienne en bateau, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan.

Sueli m’attend chez Véronique, une Française, travaillant ici et qui accueille notamment des cyclistes longue distance. Le soir, debriefing avant le départ avec trois Belges, deux Anglais, une Etatsunienne, Sueli et moi-même. C’est un Anglais qui a préparé le repas.

Sueli et Léon

Le premier soir, après 80 km de parcourus, nous passons la nuit dans une famille. Les jours suivants, Sueli s’occupe de l’intendance et de trouver un endroit calme, discret avec eau et un terrain plat pour les tentes. Un soir, nous sommes installés dans une prairie. La propriétaire nous invite à prendre le thé; elle nous raconte son histoire.  

Sueli et une dame

Pendant cinq ans, avec son mari, ils ont travaillé (dur) à Moscou pendant que les trois enfants étaient éduqués par les grands-parents. Avec l’argent gagné, ils ont pu améliorer leur maison. Elle est professeur retraitée d’anglais et de russe. Elle préfère plus que tout vivre au Tadjikistan. 

Il est vrai que le tadjik n’a rien à voir avec le russe imposé du temps de l’URSS (et encore en vigueur actuellement dans les écoles ainsi que son alphabet) : c’est une langue apparentée à l’iranien et à l’afghan. Au petit matin, la gentille dame (en photo avec Sueli) nous offre à nouveau le thé.

De commun accord, Sueli et moi nous ne pédalons pas ensemble : différence de rythmes, de conditions physiques… et d’âges. De plus, je prends le départ après une longue période d’inactivité (la Transafrica numéro deux, c’était au début de 2016). Sueli part deux heures après moi et arrive deux heures avant moi le soir. A midi, de préférence à l’ombre, nous piqueniquons ensemble.

Un jour, Sueli cherche en vain du pain dans un village; une dame lui en offre deux. Un homme nous invite à partager le repas de midi pour nous seulement, car c’est le Ramadan : bel exemple d’ouverture… !

En huit jours, nous parcourons les 530 kms séparant Dushanbé de Khorog, dont un col dépassant les 3.200 mètres d’altitude. Comme Sueli souhaite faire une boucle au Kirghizistan, qu’elle espère arriver en Mongolie au début septembre (avant les grands froids), qu’elle n’a pas encore son visa pour la Chine, et que je vais nettement moins vite qu’elle, nous décidons de nous séparer.

Sueli s’envole à son rythme. Suivez son périple sur sa page Facebook ! Quant à moi, m’on objectif est de rejoindre Osh au Kirghizistan avant le 13 juillet, car mon avion de retour est réservé pour le 15.

Mercredi 21 juin 2017 : une journée mal commencée qui se termine bien

Parti vers le Sud avant elle, Sueli me rejoint après 18km d’une belle montée au moment où je répare un dérailleur un peu récalcitrant ; le matin, son chargeur haute puissance avait disparu à l’auberge de jeunesse, elle était toute désemparée… quand elle a vu l’appareil réapparaître deux heures plus tard : l’énigme restera.

Au moment de nous séparer, Sueli constate que nous nous sommes trompés de route, retour à Khorog (18 km). La journée se terminera toutefois bien pour moi : je suis invité pour le repas du soir (spaghetti) et la nuit dans une famille Tadjike.

De même que le jour suivant et encore une troisième nuit dans le Wakhan, la région qui jouxte l’Afghanistan. Cette fois en demandant dans un village un endroit pour planter ma tente, une jeune de 14 ans prend l’initiative de dire « venez chez nous ». Elle invite une de ses cousines étudiante en médecine et l’échange se fait en anglais.

La route est belle jusque Ishkashim et encore après mais bien vite, place à la « tôle ondulée » comme sur le « Ruta 40 » en Argentine pour ceux qui connaissent : c’est l’horreur. Il faut souvent pousser le vélo et la moyenne horaire ne dépasse pas le 5 km/heure. Toutefois peu de passages avec du sable où les roues enfoncent au point de bloquer le vélo. Pour agrémenter le parcours, l’un ou l’autre passage de torrents.

Wakhan

Mardi 27 juin 2017 : un pneu défaillant qui entraine un passage de col difficile… en voiture

N’ayant pris avec moi qu’un pneu de réserve qui avait déjà servi à changer l’avant, quand survint l’éclatement du pneu arrière, je me trouvais dans le devoir de trouver une solution. Je m’apprêtais à réparer le pneu défaillant avec les moyens du bord quand arrivèrent quatre motards russes. L’un d’entre eux déballa son matériel de secours. Le pneu à peine réparé et les roues du vélo toujours vers le haut, déboucha un 4x4 occupé par cinq russes : Roman et quatre dames. Aussitôt, ils se proposèrent de m’embarquer avec le vélo ficelé sur le toit.

Vous ne pouvez vous imaginer combien plus facile fut le passage du col, pas trop dur selon Sueli mais constitué de gravier et de sable ! De l’autre côté, les russes m’emmenèrent admirer plusieurs lacs… un merveilleux spectacle qui ne se trouve pas nécessairement sur la route choisie par les cyclistes. 

Arrivé à la « guest house » où je partage la chambre avec un motard russe, le gérant m’apprend que Sueli a passé la nuit précédente à cet endroit et qu’elle est partie vers le Nord le matin-même. De par le trajet en voiture (180 km) j’ai refait une partie de « mon retard » !

Les Pamiris : toute une histoire

Après la vallée de la Wakhan, l’on remonte la vallée du Pamir, frontière avec l’Afghanistan, plus précisément avec le couloir du Wakhan, créé à l’époque de la colonisation par les grandes puissances pour constituer une zone tampon entre les « territoires » visés par l’empire britannique et les menaces de la Russie et ensuite de l’URSS en expansion tant géopolitique qu’idéologique.

Les Pamiris sont très accueillants et ouverts d’esprit. Alors que la plupart des Tadjiks sont de religion musulmane sunnite, les Pamiris sont d’obédience chiite ismaélienne et reconnaissent comme chef spirituel, l’Aga Khan, un richissime habitant en Europe et dont la fondation vient en aide à sa région d’origine sur le plan social, sanitaire, etc.  J’ai croisé un véhicule de cette fondation. Dans leur religion, les Pamiris ont intégré différents éléments ancestraux comme en témoignent les cornes d’animaux (le fameux « mouton de Marco Polo ») sur certains murs.

Montée du col le plus élevé du voyage en trois jours

Alors que la plupart des (jeunes) cyclistes enjambent le col le plus élevé à savoir 4.655 mètres en une étape, j’ai choisi la prudence et de prendre le temps d’admirer les montagnes. Heureusement, le vent se calme car toute une journée durant il fut de face. Deux nuits à 4.200 mètres furent supportables car au delà de 4.000 mètres d’altitude, le cœur doit pomper beaucoup plus pour compenser la raréfaction d’oxygène dont le corps a besoin.

C’est donc souvent en poussant le vélo et après beaucoup d’heures d’obstination, d’arrêts et de relances que j’arrive au sommet. J’ai beaucoup de chance car le lendemain, le cycliste Roumain que j’ai rencontré par après a du affronter la neige et un vent délirant.

J’ai pris le temps de me reposer une journée dans un « Home stay » (hébergement bon marché mais avec un très bon accueil même s’il n’y a que des pommes de terre au menu du repas du soir) dans le village de Karakul.

C’est dans une yourte que j’ai passé deux nuits dont l’une en compagnie de deux Français et d’un Australien qui voyagent en taxi-collectif (en Afrique l’on dirait taxi-brousse mais ici ce n’est pas la brousse). En effet pas le moindre morceau de bois… si bien que pour le chauffage, les gens ont recours à des plantes séchées pour l’allumage et comme combustible les excréments séchés d’animaux. Merci à la dame qui allume le feu afin que je puisse passer une bonne nuit, car à près de 4.000 mètres d’altitude, il fait froid.

Lac de Karakul

La journée de repos est consacrée à la visite du merveilleux lac de Karakul, au bord duquel paissent des moutons, des vaches mais aussi des yacks (bien connus de ceux qui randonnent au Népal).

Lundi 3 juillet 2017 : la neige cela vaut bien le passage d’un col en voiture

De nouveau la chance me sourit. Parti de bon matin vers le col situé au Nord de Karakul, je fais vite demi-tour car la neige a fait son apparition. Revenu me chauffer à l’endroit où j’ai passé deux nuits, j’entends un véhicule… occupé par deux Néerlandais qui acceptent de me charger avec vélo et bagages pour passer le col.

De l’autre côté de celui-ci à la frontière Kirghize, je retrouve Katrin et Sven, deux (jeunes) cyclistes Suisses qui ont passé la nuit sous 10 cm de neige et un Slovène, Carlo (le vélo disparaissant sous la boue) que Sueli avait rencontré à Dushanbé avant le départ… les rencontres c’est souvent le fruit du hasard. Tiens à ce sujet, Etienne Hazard (je ne connais pas plus l’orthographe du nom que le football) est étonnamment bien connu dans les montagnes du Pamir ! 

Après le col, pour la descente, je reprends mon vélo et prends le temps de découvrir les Kirghizes qui habitent dans des yourtes. Que cet habitat est beau et harmonieux avec la nature ! Et dire qu’en Belgique, à cause d’une réglementation de plus en plus alambiquée, il est encore interdit en Région Wallonne de se domicilier dans une yourte, même dotée de lagunage pour récupérer les eaux usées, de toilette sèche, etc. Bien sûr cela ne fait pas aussi bien que les appartements de Thomas et Piron !

Les fonctionnaires de la Région Wallonne bien confortablement assis dans leur bureau ne se soucient guère que la plupart des Namurois, du haut de leur maison ou appartement envoient dix litres d’eau à la Meuse même pour trois gouttes de pipi ! Et pas seulement à Namur ! Et dire qu’ici dans les villages, trouver un peu d’eau pure est bien difficile. En revanche, des sourires et de l’accueil, vous en recevez par seaux entiers… que du bonheur !

Sourire tadjiks

Je vous quitte en vous donnant rendez-vous fin juillet avec la suite des infos du voyage de Sueli et de la traversée du Kirghizistan. Portez-vous bien en espérant que la canicule s’atténue et que l’eau réapparait en Belgique …pour que les légumes et les céréales puissent grandir.

Léon Tillieux

PS: Message arrêté au 4 juillet 2017. Bien arrivé à Osh ce vendredi 7 juillet 2017