La suite de la traversée du Transkei

Jeudi 10 mars 2016, longue route jusque Port-Saint-John situé sur la côte Sud-Est de l'Afrique du Sud. J'y trouve un camping "The Pont" au bord de la rivière qui se jette dans l'océan Indien. De très rares campeurs dont deux Suisses, "von Basel".

Ensuite pour rejoindre Port Edward également sur l'océan Indien, il faut remonter à l'intérieur du Transkei sur près de 200 kms, s'éloigner de la mer, ce qui veut dire remonter très haut. Sur la route du travail, un jeune pose avec son échelle pour la photo. 

Sur un chantier de route, toute une équipe on ne peut plus orange fluo est au repos: c'est le moment de la pause. Après un échange sur le début et l'objectif du voyage, le nombre de pneus de rechange que j'emmène avec moi, etc. , l'on parle de Mandela et au moment de les quitter, ils et elles se mettent à entonner "Amandla" ("le pouvoir au peuple"), inscrit dans l'hymne de libération de l'ANC de Madiba. L'un me dit "Mandela, c'est un héro", l'autre, une dame qui se met en danser, "ma vie s'est améliorée depuis 1994 ... "  

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A Flagstaff, ne trouvant pas de camping, je m'adresse au bureau de la police. De suite voyant mon âge "respectable aux yeux des Africains" après avoir jeté un coup d'oeil sur mon passeport, ils marquent leur accord pour que je plante la tente à l'intérieur du périmètre de sécurité, juste avant la pluie. 

Le lendemain, un jour supplémentaire long de 110 km me ramène sur l'océan, les nombreuses côtes étant cependant moins pentues que la veille. Un arrêt en montée me permet de prendre une photo d'un poster de Mandela avec une fillette à ses côtés et les fils barbelés rappelant "Robben Island" (voir message n°21).

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A Port Edward, station de villégiature sans camping, les maisons sont toutes fermées, exceptées une, où le portail et la porte sont ouvertes ... et pas de chien ! Une jeune dame noire accepte de suite que je plante la tente. La maman qui a marqué son accord me demande d'installer la tente à l'arrière de la maison, le plus près possible de la porteLes deux gamins (2 et 3 ans) veulent "m'aider" à la monter !

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D'un "faux" problème de coeur au pays du Docteur Barnard... à la découverte d'un virus : "Chicken pox" !

Samedi 12 mars : depuis deux jours et surtout deux nuits, une douleur intense se fait sentir du côté gauche ... c'est-à-dire du côté du coeur. Vers deux heures du matin, craignant une complication cardiaque, j'appelle Touring Assistance en Belgique qui me dit d'appeler une ambulance. Dans la nuit, celle-ci vient me chercher pour me conduire à Margate, dans un hopital moderne ... nous sommes au pays du Docteur Barnard. Qui se souvient encore en 1967 de la première transplantation cardiaque dans le monde ?  

L'infirmier de garde connait la Belgique (Bruges, la bière de Leffe ... et le stop facile - à l'époque - dans les années 1990 jusque dans le sud de la France).  Le médecin de garde parle un français impeccable. Les examens (électrocardiogramme, prise de sang) ne décèlent rien d'anormal. Je puis repartir et continuer la Transfrica jusqu'au bout ... ouf, si près du but, c'eut été "biesse" de devoir abandonner !

Le lendemain alors que je me repose sur une colline "Leisure view" avec vue sur l'océan et que le vent du large se met à souffler, Hilde de Touring Assistance depuis Bruxelles vient aux nouvelles de ma santé ... pendant un an, elle a bourlingué avec son mari à vélo à travers le monde et est tout à fait au courant des inquiétudes que l'on peut ressentir au cours d'un tel voyage avec un tel moyen de déplacement.  Mais maintenant il y a Skype qui peut vous réunir facilement sur un même écran.

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Six jours plus tard ... découverte du véritable mal : un virus. Le mal persistant du côté gauche, je me résous à consulter un médecin à Durban le vendredi 18 mars.  Tout de suite il découvre une infection purulente au bras gauche.

J'avais tenté de la soigner par une pommade antibiotique mais cela n'y faisait rien, en effet il s'agit d'un virus portant le nom de "Chicken pox". Traitement antiviral pendant quelques jours et cela sera vite oublié ... ! Grâce à ma fille Sueli, jai compris que le "chicken pox" est le terme anglais pour le virus de la varicelle, appelé également plus communément "zona". Je ne sais plus si j'ai eu cette maladie étant enfant, en tout cas elle a refait surface profitant de la fatigue accumulée au cours de la transafricaine ! Ce mal persistant m'aura accompagné durant les 400 derniers kms ! 

La longue ligne droite le long de l'océan Indien jusque Durban

Pour le logement des deux dernières nuits sur la route de Durban, j'ai reçu l'aide précieuse de Dilla, la soeur de Frans qui m'avait accueilli du côté de Vryheid et avec qui j'étais allé visiter le mémorial de la guerre entre les Boers et les Zoulous de 1838.

Lundi 14 mars, c'est dans l'internat d'une école secondaire gouvernementale de Port Shepstone que je suis accueilli tout d'abord par un bon repas bien belge : frites et steak avec grand renfort de mayonnaise. En Afrique du Sud, une bonne partie de la population - y compris les jeunes qui ne font pas de sport - souffre de surpoids ... l'on comprendra pourquoi. Ceci ne concerne bien sûr pas la plupart de ceux qui habitent sur les collines du Transkei et celles qui portent sur leur tête de lourds fardeaux...  

Le matin, réveil à la cloche, petit déjeuner commençant par un benedicite dit par un élève... discipline qui me rappelle le temps de l'internat (1960-1966) au collège de Bellevue à Dinant, où la journée commençait très tôt à 6h20 par la messe, suivi d'un moment d'étude avant le petit déjeuner ! De ce temps, il m'est resté non seulement de bons souvenirs mais aussi un caractère "modelé" et bien préparé à résister à toute épreuve... la preuve : cette Transafrica de 6.000 kms comme mes autres voyages, que je dédie à mes parents qui m'ont transmis ces valeurs de courage et de détermination !
 
Mardi 15 mars, longue chevauchée sur l'autoroute avec la très large bande d'arrêt d'urgence permise aux vélos ... et aux vendeurs de fruits de la forêt proposés par des jeunes sans emploi ... de l'économie informelle. Malheureusement pour eux, peu de véhicules s'arrêtent pour en acheter... !

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Le soir, je réalise un rêve: planter la tente au bord d'un océan ... l'Indien à 60 kms de Durban, le terme de mon voyage transafricain. La dernière fois, c'était il y a 10 ans en Estonie, au bord de la mer Baltique, face au soleil de minuit, lors du retour du voyage à St-Pétersbourg... à vélo en 2006 au départ de Namur. 

Ici à Scottburgh, je suis bien installé à côté de la caravane d'un couple à qui je demande de faire bouillir de l'eau pour mon sachet lyophilisé et qui m'offrira une tasse de café le lendemain matin avec les traditionnels et délicieux biscuits au beurre sud-africains. 

La nuit, un orage bien trempé et un coup de tonnerre de Dieu le Père me réveillent en sursaut... une partie de mon matelas autogonflant Thermarest se mettant à voguer sur l'eau qui a envahi le dessous de la tente ! 
 
Le lendemain matin, mercredi 16 mars 2016, journée historique. Après avoir tenté de sècher le contenu des bagages, après un moment de méditation face à l'océan Indien, incluant dans mes pensées celles et ceux que j'ai rencontrés dans ce long voyage de 6.000 kms depuis Kigali, je prends la route de la dernière journée de la Transafrica.

Restent 59 kms pour atteindre la maison de Dilla vers qui je me dirige muni des indications recueillies sur le site www.viamichelin.fr ... vraiment efficace ! C'est bien mais de cette manière l'on ne doit même plus demander son chemin !  Il est vrai que sur les voies rapides envahies par un trafic de dingues, il n'y a guère de piétons ... juste un fou à vélo entrainant des coups de klaxon de quelques énervés (on m'avait prévenu et le drapeau écarteur rouge et jaune est pointé à droite au maximum ... puisque l'on roule à gauche et que "normalement" les véhicules me doublent par la droite) !  

A l'entrée de Durban, une dame a arrêté sa voiture sur un espace sécurisé. Elle me prend en photo qu'elle m'envoie par courriel la nuit suivante avec un message intitulé "Faith in Humanity" : "I pray that your cycle through our beautiful continent was successful in every way, accomplishing that which you set out to do. " - "Je prie pour que votre voyage à vélo au travers de notre beau continent soit un succès chaque jour, accomplissant ce que vous cherchiez à réaliser" ... et oui, puisque je suis arrivé sans accroc (une seule voiture a touché le bout du drapeau écarteur, une cette année et une autre en 2015) ni accident, au coeur du quartier Umbilo de la seconde ville la plus importante d'Afrique du Sud ! Mandela disait : " It always seems impossible until it's done "  ...  et maitenant, la Transafrica " is really done ! "

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Quelques dernières côtes dont la dernière dans le quartier Umbilo de Durban immortalisée en video et à insérer dans le futur film "Transafrica 2016" et j'arrive chez Dilla à 16h30 avec 90 minutes d'avance.

Les chiens viennent à ma rencontre et me lèchent dès que Isabel, la fille de Dilla m'ouvre le portail. Accueili par une bonne bière sudafricaine dans la famile Krüger ayant une lointaine parenté avec celui qui ouvrit le fameux parc animalier Krüger ... en attendant la venue d'un journaliste contacté le matin même.  Celui-ci arrive comme prévu à 18h et c'est reparti pour quelques centaines de mètres à vélo pour qu'il puisse immortaliser en photo la fin de la Transafrica. Interview très détaillée dont vous trouverez le contenu ci-dessous traduit en Français.

Guy Duncan, c'est son nom, est descendant d'Huguenots Français et parle un peu la langue de Voltaire mais "à l'africaine".  Chose étonnante : en 1992, peu de temps après la fin de l'apartheid, Guy a fait un long voyage tout d'abord en stop jusque Bujumbura et ensuite à vélo qu'il acheta au Burundi d'où il redescendit jusque Johannesburg en passant par Kigoma en Tanzanie, voyageant sur un très vieux bateau sur le lac Tanganyka (le "Liemba", un ancien navire de guerre allemand), ensuite la Zambie et le Botswana ... une Transafrica bis un peu semblable à "la Transafrica with Mandela" dont il relate en détail la traversée par pays avec des questions tant judicieuses qu'intéressantes pour chacun d'eux. Ensuite, il nous raconte également avec beaucoup d'enthousiasme un autre voyage à vélo : Madagascar. 

De la culture du Braai à celle de la canne à sucre...

Le soir, Mr Krüger (Gert de son prénom, professeur de chimie organique dans une université de Durban) m'initie à la culture sudafricaine du "braai", terme Afrikaans à utiliser absolument lorsque l'on veut parler de "barbecue" (terme réservé plutôt aux anglophones) et que l'on est invité chez eux. Souvenir de l’époque des "voortrekkers" – le repas des pionniers boers entre les chariots bâchés dans la longue route vers le nord-est – représentant pour la classe moyenne blanche, un acte social adopté par l’ensemble de la population, employé à toutes les sauces dans les onze langues officielles du pays. La viande (abondante) badigeonnée d'une sauce caramélisée est succulente à un point tel que l'on oublie la diététique pour ce soir-là.
 
Ensuite c'est une longue explication historique des très nombreuses facettes raciales de cette région "le Natal" (Noël en Portugais) donné par l'explorateur portugais Vasco de Gama. Par exemple, la présence de nombreux Indiens date de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle lorsque les colonisateurs anglais décidèrent de planter de la canne à sucre dans cette région et suite au refus des Zoulous de "se payer" ce travail épuisant et très mal rémunéré de coupeur de canne. 

Parmi ces indiens, le plus célèbre de la lutte non-violente contre les discriminations raciales qu'il initia ici-même, Mohandas Karamchand dit le "Mahatma" Gandhi.  Une de ses petites filles, Ela Gandhi habite encore ici à Durban. L'an passé, en juillet 2015, celle-ci était présente à l'inauguration du "Hall Gandhi - Luthuli" du nom de son grand-père et d'Albert Luthuli, ancien Président de l'ANC (African National Congress), l'un des quatre sudafricains à avoir reçu le prix Nobel de la Paix (lui-même en 1960, Desmond Tutu en 1984, Nelson Mandela et Frederik de Klerk en 1994).

Rencontres à Durban 

Le Centre Denis Hurley 

Le directeur Raymond Perrier (rencontré précédemment à Bruxelles avec Jacques Briard d'Entraide et Fraternité) charge son adjoint Jean-Marie du Burundi de m'accueillir et de me faire visiter ce Centre ouvert à Durban non loin du marché central, coeur névralgique de la cité avec une population multiculturelle  augmentée depuis quelques années de très nombreux migrants venus d'abord du Zimbabwe voisin et ensuite principalement des pays africains suivants : Congo, Burundi, Somalie, Ethiopie.

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Un centre d'accueil pour celles et ceux qui cherchent un repas ou résoudre un problème de santé urgent et qui sont dépourvus de ressources de par leur situation précaire. Le midi, des repas sont préparés et distribués par des bénévoles à 80 personnes, cinq jours sur sept.

Parmi ces bénévoles des jeunes venant de différents pays (Allemagne, Suède, Corée du Sud) vivant pendant 5 mois une expérience de vie à bord d'un bateau "Logos hope team" qui demain sera dans un autre port. 

Avec ces jeunes, je visite la mosquée située à côté du Centre portant le nom - Denis Hurley - de l'archevêque catholique de Durban (de 1947 à 1992) qui lutta contre le système de l'apartheid à côté de l'archevêque anglican plus médiatisé et mieux connu, Desmond Tutu (prix Nobel de la Paix 1984).

Le Centre est ouvert à toute personne en difficulté quelle que soit sa nationalité et sa religion, et propose également des formations en langues (anglais, zoulou), informatique, couture, etc. Une lutte également contre les discréminations dont sont victimes les très nombreux migrants en Afrique du Sud (certains chiffres s'élèvent jusqu'à des millions) dans un climat de violence qui a atteint son paroxysme il y a presqu'un an lorsque plusieurs d'entre eux furent assassinés.

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La problématique des migrations qui marque également de plus en plus l'actualité des pays européens dont le nôtre - la Belgique - depuis de nombreux mois avec les conflits au Moyen Orient, trouve ici en Afrique du Sud une dimension encore bien plus grande.

Les différentes églises ainsi que la communauté musulmane fort présente (30%) dans la ville de Durban collaborent dans la lutte contre les problèmes engendrés par cette situation d'extrême précarité.

Diakonia Council of Churches

Une seconde visite très intéressante au Centre Oecuménique situé non loin du premier avec un très bon accueil de la Directrice Nomabelu qui me présente avec video à l'appui les grands axes d'actions de ce "Council" composé des principales églises présentes sur le terrain : justice sociale, justice économique, respect environnemental et des Droits humains.  Une grande "démonstration" de foi regroupant environ 3.000 personnes venant des différentes églises chrétiennes est organisée chaque année le vendredi saint ... cette année - "infelizmente" pour moi - ce sera deux jours après mon retour en Belgique.

Derniers jours de repos à Durban avant le retour en Belgique le jeudi 24 mars 2016

Ce lundi 21 mars, jour férié en Afrique du Sud. Une dame professeur dans une école secondaire doit consulter un calendrier pour me dire pourquoi ce jour est férié : pour rappeler l'adoption de la nouvelle constitution post-apartheid en 1993 après des années de négociations entre Mandela et l'ancien pouvoir, initiées bien avant la sortie de prison de Madiba.

Visiblement il y a encore un long chemin - en Afrique du Sud comme partout ailleurs d'ailleurs - pour que les Droits Humains soient considérés à la hauteur de ce qu'ils représentent en humanité dans notre monde sans cesse en quête de démocratie et plus de justice. 

A vous revoir "tout bientôt" comme dirait Danielle...!

Léon Tillieux ... le "transafricain"