Chers amies et amis de la transandine 2013,

Merci à ceux et celles qui ont répondu au premier message envoyé de San Antonio de los Cobres en Argentine. Me voici arrivé à San Pedro de Atacama au Chili après un long et périlleux voyage à travers la cordillère des Andes via le col de Sico. 

En vous quittant à l'issue du premier message, je vous exprimais toutes mes craintes quant à cette traversée par une route très peu fréquentée et le long de laquelle je savais qu'il n'y avait aucun endroit d'hébergement ni de ravitaillement possibles. Aujourd'hui, j'ai la grande joie de vous annoncer que j'y suis arrivé au bout de 9 jours difficiles mais combien enrichissants surtout de par les rencontres que j'ai faites.

De San Antonio de los Cobres à Olacapato en Argentine via un col de 4.560 mètres

Avec Affonso du Bresil.JPG

En quittant San Antonio et en disant adieu à Nabor, le gérant du petit hôtel où j'avais passé trois nuits, j'avais dans la tête les renseignements importants reçus d'un jeune brésilien qui venait de passer le col de Sico tant redouté et que j'ai croisé par hasard alors qu'il arrivait dégoulinant sous l'orage qui venait de le surprendre.

Au cours de la soirée passée ensemble, il m'avait décrit les difficultés qu'il venait d'affronter: pluie, grêle, froid, absence de ravitaillement... mais aussi qu'il était possible de demander de l'eau aux policiers au poste frontière et surtout de passer la nuit dans les locaux de l'ancienne mine de fer de El Laco située du côté chilien.

Affonso, ce jeune Brésilien était en route pour un long périple de plus d'un an à travers tous les pays des Amériques. Il s'arrêtait dans les petites villes, il demandait l'hospitalité chez les pompiers, à la Mairie ou auprès des institutions religieuses. A San Antonio, il a partagé ma chambre et toutes ses émotions ressenties tout au long d'un voyage exceptionnel.

Pour atteindre Olacapato, j'ai du monter un col de 4.560 mètres, le "alto Chorillo". Après de fréquents arrêts sur une route en pierres, à 4 km du sommet, j'ai planté ma tente dans un tournant, exténué, attendant une nuit reposante pour continuer.

Nuit sous la pluie col de Sico Chili.JPG

Encouragé par deux Français le lendemain matin, c'est avec une très grande joie que j'arrivais au sommet.

Je pensais que la descente serait facile mais une portion ensablée m'attendait, celle pour laquelle mon ami des Pyrénées, André Etchelecou avait loué une voiture. Mais ce passage difficile fut plus court que prévu.

A Olacapato, je me suis rendu directement au poste de santé. En effet, le second jour du voyage,en cherchant un endroit pour planter la tente, je m'étais "planté" une longue épine dans le tibia. N'ayant pu désinfecter la plaie convenablement, je craignais une infection.

Une gentille infirmière a regardé la plaie et par mesure de sécurité (il n'y a aucun poste de santé avant 200 km), elle m'a donné des antibiotiques. Lorsque j'ai voulu la rétribuer pour ce service, elle m'a répondu "c'est gratuit"... même pour les étrangers ! Ah bon ! C'est pas partout comme cela !

De Olacapato (Argentine) à la mine de fer de El Laco (Chili): traversée "apocalyptique" du col de Sico pratiquement désert

En quittant le petit "hospedage" d'Olacapato où j'avais pu prendre une bonne douche chaude et donner un bon brin de toilette à ma monture (le vélo), je partais avec beaucoup d'appréhension. Le premier jour, en voulant me réchauffer de l'eau, je ne parvenais pas - avec des allumettes qui avaient pris l'humidité - à allumer mon camping gaz. Moment de panique, je n'avais que des sachets de nourriture lyophilisée et durant 5 jours j'étais certain de ne rencontrer personne.

Salar aguas calientes Chili.JPG

Petit à petit, j'ai repris mes esprits et mon courage. Au bord du Salar merveilleux del Rincon, j'ai réussi à allumer un feu avec des bouts de bois et... un briquet reçu de touristes anglais tout ébahis de rencontrer un cycliste à cet endroit. Le vent s'étant calmé pour planter la tente, je passais une nuit étoilée au bord d'une route sur laquelle aucun véhicule ne vint troubler un silence impressionnant.

Le lendemain samedi 19 janvier 2013, je voyais au loin le col de Sico mais je perdis pas mal de temps à cause d'une portion de boue... rouge comme le fer de cette région. Nettoyage de la monture et surtout de la chaine ! Me voilà enfin arrivé au poste frontière Argentin.

Bien reçu par les douaniers qui visiblement n'ont guère de travail. Par précaution, je leur demande des allumettes; n'ayant sans doute pas une boîte complète à me donner, l'un deux me donne quelques allumettes avec un petit centimètre carré de la partie destinée au frottement de l'allumette. Un petit geste mais une bonne intention!

Frontiere Argentine Chili.JPG

La suite fut moins agréable. Dès le passage du col de Sico qui marque la frontière entre l'Argentine et le Chili à 4.092 mètres, un orage s'annonce. Bien vite je dois m'arrêter et m'abriter comme je peux. Cela devient "apocalyptique"... si bien que je crains que les éclairs qui éclatent de partout ne nous (le vélo et moi) prennent pour cible. L'orage s'arrête mais pas la pluie. Je monte la tente au bord de la route. Un véhicule passe.

La nuit, en sortant pour un besoin naturel, je suis dans le brouillard total... je ne vois pas à plus d'un mètre. Le lendemain matin, la pluie est omniprésente. Je devine au loin un cycliste : c'est Alejandro, un Argentin qui retourne dans son pays en tirant une remorque. Brefs échanges; il me confirme que les gars de la mine accueillent les voyageurs de notre espèce.

Deux cols m'attendent avant que je ne puisse me reposer. Le premier est relativement facile étant donné que la pluie s'est arrêtée. J'arrive au poste des douaniers chiliens. Je leur demande de l'eau chaude pour réchauffer un plat lyophilisé. Dans un petit local, nous sommes quatre. Pas beaucoup de travail pour eux : en moyenne un véhicule par jour à contrôler. Ce dimanche 20 janvier, un peu plus de travail : une voiture argentine... et deux cyclistes !

Le plus dur était à venir. Après avoir subi le contrôle du douanier vérifiant que je n'avais pas de fruits (d'Argentine, il est formellement interdit d'importer des fruits et légumes - même pas une banane), je reprends la route. Mais la pluie drue et froide est là, qui se transforme en neige fondante et puis en neige. J'ai les pieds trempés en traversant des torrents de boue. Ma monture, elle ne se plaint pas.

J'aperçois au loin des vigognes (cousines des lamas et alpagas) qui cherchent un peu de nourriture. Lentement, très lentement mais sûrement, j'arrive au sommet du col de "el Laco" ; mon altimètre marque 4.525m. Je photographie mes pas (éphémères) dans la neige des Andes ! Prudemment j'entreprends la descente. Arrivé à hauteur de la mine de fer, un homme me fait signe de venir avec de grands gestes... oui, les cyclistes sont les bienvenus !

Accueil a la mine Chili.JPG

Une nuit bien au chaud dans les locaux de cette mine de fer désaffectée depuis les années 1980. Oscar et José, sont chargés de garder les locaux et ce 365 jours par an... loin de leur famille. Heureusement, ils ont téléphone et Internet pour communiquer. 

Nous sommes cinq à partager le repas du soir (omelettes aux tomates) : deux camionneurs argentins passent la nuit également dans ces locaux car leurs camions sont restés bloqués à cause la neige. Oscar m'explique que c'est très rare qu'il y ait de la neige... j'ai bien choisi le jour !

De la mine de "El Laco" a San Pedro de Atacama ... sous un ciel bleu ... et un soleil le plus radieux qu'il soit !

Lagune Miscanti.JPG

Le lendemain, ciel bleu, soleil radieux. "Despues de la lluvia y de la nieve ... vien siempreel sol !". Comme l'écrivait Ghislaine Wathelet, une coopérante belge que le groupe tiers-monde de Gesves soutenait dans les années 1980 dans son travail social à Osorno au Chili ... elle avait raison ! Je ne reverrai plus la pluie (ni la neige) jusque San Pedro de Atacama

Mais jusque là, la route est encore longue et la route dure avec ses pierrailles. Trois cols également mais de moindre difficulté, tout en dépassant chacun les 4.000 m. Presque pas de véhicules mais des rencontres exceptionnelles... jugez-en. La route longe des merveilles (lagunes et salars). Je prends le temps d'admirer les couleurs de ces richesses naturelles et encore préservées de toute intrusion humaine.

La chaleur est là aussi... eau et nourriture commencent à manquer. Alors que j'étais en train de me demander pourquoi je ne recevais que si peu de messages d'encouragement de mes amis et de mes amies de ma longue liste d'adresses, j'ai tant reçu de la part de personnes que j'ai croisées... que je me suis dis finalement"au lieu de nous plaindre de ce que nous n'avons pas, profitons de la richesse de ce qui nous est donné de la part de ceux et celles qui se donnent la peine de s'arrêter et de nous rencontrer dans un esprit de fraternité et d'humanité".

C'est ainsi que, en arrêtant une ambulance sur le trajet du retour (elle m'avait croisé le matin), en leur demandant de l'eau, spontanément, les ambulanciers me donnèrent carrément leur pique-nique (pain, fromage, jambon)... alors qu'il leur restait plus de 200 km à parcourir pour rejoindre le poste de santé de Calama.

Odile guide Francaise.JPG

Le lendemain, un 4x4 s'arrête. En descend Odile,une jeune guide de nationalité Française. Elle m'apprend qu'elle a vécu quelque temps à Thy-le-chateau en Belgique... à la communauté "des Béatitudes" ! Elle me promet, qu'au retour, elle me donnera les restes du pique-nique non consommé des touristes qu'elle accompagne. Quelques heures plus tard, elle s'arrête. 

Pendant deux jours je me régalerai de pâtes au saumon, de feta aux olives ... dans un environnement ou rien ne pousse ! Un autre véhicule s'arrête :en me montrant un cadenas pour vélo, le chauffeur me demande."Ne serait-ce pas à vous?"... moi qui m'étais juré de ne rien perdre au cours du voyage !

En admirant la belle petite église au toit de chaume de Socaire, je me fais interpeller par un groupe de touristes. Précédemment, la plupart des mini-bus remplis de touristes n'accordaient guère d'attention (et réciproquement) à un cycliste roulant sous un soleil de plomb. J'ai pu réviser mon jugement. 

Ce groupe composé de gens parlant l'espagnol, le brésilien et le français (j'ai pu parler avec chacun d'eux dans leur langue) se sont intéressés à mon voyage, au parrainage qui accompagne ce voyage, aux difficultés rencontrées. Avant de me quitter, après m'avoir donné des fruits et des noix du Para (Brésil - cela me rappelle de bons souvenirs), ils me demandèrent ce dont j'avais besoin: des encouragements !

En les quittant, ils m'applaudirent, rangés sur deux files et en criant "allez, Léon !". En plus, une des personnes me donna un produit curatif pour les lèvres durement mordues par le soleil ! 

Pour visiter les lagunes Miscanti et Miñiques, je devais quitter la route principale et emprunter sur 8 km une route horrible en graviers si bien que j'ai caché le vélo dans les rochers; j'ai fait du stop et la première voiture s'est arrêtée. Quatre jeunes étudiants de Santiago m'ont permis de visiter les belles lagunes au bord desquelles broutent tranquillement de jolies vigognes. Nous nous sommes retrouvés une fois en cours de route et deux fois à San Pedro ... hasard de l'amitié !

Couleurs Andes au coucher soleil.JPG

Il me restait 90 km sur une belle route asphaltée pour rejoindre San Pedro de Atacama. Changement de décor : le Salar d'Atacama, avec ses couleurs rouge, brun, bleu, blanc, etc... me suit tout au long de la route par la gauche. La nuit au bord d'un des Salars (lacs de sel asséchés, parfois réserves importantes de lithium) les plus étendus de la planète, est douce et étoilée. La lune m'empêche cependant de voir beaucoup d'étoiles.

Moyens de transport differents.JPG

Lors de la dernière journée (jeudi 24 janvier 2013), une rencontre de plus... inattendue. Un motard fait demi-tour. Il s'enquiert de savoir si rien ne me manque. Il me donne rendez-vous à San Pedro pour le repas du soir. 

A l'entrée de San Pedro, j'ai le loisir, dans la longue file de contrôle des passeports, d'échanger avec une famille argentine sur l'opportunité d'interdire l'importation de fruits et légumes ... et même d'un petit cactus... dans un Mercosur (marché commun entre les pays du cône Sud) qui a très difficile à démarrer dans les faits !

Premier soir à San Pedro. Tommy, le Suisse de Zurich, ancien employé de banque, m'invite à souper (un succulent poulet aux champignons) dans un sympathique restaurant de cette ville envahie par de nombreux touristes à majorité français. Les extrêmes se rencontrent : le randonneur cycliste ... et le motard, passionné de moto longue distance à travers le Pérou, l'Argentine, pratiquant la vitesse pure à moto, le marathon en montagne, par ailleurs membre de l'équipe de recherche des égarés du Dakar dans les dunes (au fait ces dunes sont-elles vraiment destinées aux camions et aux voitures ?).

Ce vendredi 25 janvier, Tommy repart vers Santiago. Quant à moi, je prépare l'une ou l'autre excursion à vélo et en 4x4. Un autre défi m'attend : j'envisage de monter au volcan Lascar à près de 5.000 m. avec un guide et un jeune de 30 ans intéressé par le trekking ... en fait, je n'en ai que deux fois plus que lui ! Quant à l'altitude, n'ayez crainte ... j'ai l'habitude !

Couleurs andines au soir.JPG

Prochain message ... le long de la route vers Santiago. Il me reste 2.200 km à parcourir ... un peu plus que les 541 km parcourus à ce jour !

Amitiés. Léon Tillieux

San Pedro de Atacama (Chili), vendredi 25 janvier 2013