Enfin du Wi-Fi disponible ce samedi 12 janvier 2019 pour vous communiquer le récit des premiers 500 km de cette route en Patagonie !

En route vers Ushuaïa via Madrid et Buenos Aires

En ce second jour de 2019, après un bel « au revoir » à ma compagne Danielle, une fois de plus ma conductrice attentionnée, j’embarque à Zaventem avec le vélo auquel la compagnie Air Europa fait un beau cadeau : pour la première fois, mon fidèle destrier voyage gratuitement… mais ce ne pas pour longtemps : à Madrid, avant d’embarquer, l’on me réclame le paiement de ce « bagage spécial hors dimension » !

Le voyage se passe normalement de même que l’embarquement à Buenos Aires pour la Patagonie avec une escale à Trelew, au milieu de nulle part. Arrivé à Ushuaïa, après le remontage du vélo, je fais connaissance avec celui qui sera mon meilleur allié ou mon pire ennemi : le vent, omniprésent en cette région du monde, la plus proche de l’Antarctique.

La température n’est guère élevée, même si nous sommes en ce mois de janvier, le mois le plus chaud de l’été austral avec une température moyenne de 11 degrés. Ricardo, un cyclotouriste argentin qui durant deux ans visite tous les parcs nationaux de son pays, me dit que la température maximum à Ushuaïa en janvier est de 15°, avec une pointe à 18° très rarement (au point que ce jour-là certains prennent congé pour en profiter).

Dans l’avion, dans un journal madrilène, je prends connaissance de l’investiture du nouveau président Bolsonaro au Brésil : une entrée en grandes pompes à Brasilia, dans une Rolls Royce (la voiture du citoyen brésilien moyen comme chacun sait). Fidèle à son programme, alors qu’il n’en est qu’à son premier jour, le nouveau président a déjà supprimé la FUNAI, un organisme créé en 1967 dans le but de protéger les droits des peuples autochtones au Brésil. Etrange… car en 1967, c’était bien les militaires qui étaient au pouvoir au Brésil !

De cette façon, il aura moins de bâtons dans les roues pour s’attaquer à la forêt amazonienne. Etrange aussi dans son allocution d’investiture, comme l’ont fait dans le passé d’autres présidents étas-uniens et d’autres encore, Bolsonaro invoque l’aide de Dieu. Si cela pouvait au moins l’inspirer dans les décisions qu’il prendra. Mais comme nous nous en doutons malheureusement, l’interprétation de certains versets évangéliques risquent de subir un fameux « lifting » ! Comme au temps de la conquête de l’Amérique dite « latine » par les « conquistadores » espagnols et portugais. En Patagonie, comme vous allez le voir, ils firent encore pire : ils n’en laissèrent aucune trace !

La « Terre de Feu » terre de conquête et de génocide (Wikipedia)

Avant l'arrivée des Européens, la région était habitée par des Amérindiens depuis près de 12.000 ans. Les Selk’Nams étaient essentiellement des chasseurs-cueilleurs, alors que les Yagans et Alakalufs étaient des pêcheurs nomades vivant dans les nombreux canaux. C'est d'ailleurs les feux allumés par ceux-ci, et qui étaient visibles depuis l'océan, qui donnèrent son nom à l'archipel. Les noms de Terre des Fumées et Terre des Feux furent choisis par Fernand de Magellan, premier Européen à atteindre les îles et à traverser le détroit qui porte son nom, en 1520. Le roi Charles-Quint nommera officiellement et définitivement l'archipel Terre de Feu.

Lors du premier voyage du navire anglais « HMS Beagle » en 1830, quatre amérindiens de Terre de Feu furent capturés pour être présentés devant le roi et la reine du Royaume-Uni, où ils accédèrent d'ailleurs à une relative « célébrité. » … comme lors de l’exposition de Tervuren fin du 19èmesiècle lorsque les Belges importèrent quelques indigènes congolais … dont 7 moururent de froid et de maladie. Les trois survivants « patagons » retournèrent en Terre de Feu avec le Beagle en compagnie de Charles Darwin.

Au XIXe siècle, les Européens installés sur ces îles (éleveurs, pêcheurs, exploitants de mines d’or) y ont perpétré de terribles massacres et transmis des maladies, réduisant à presque rien les populations autochtones. La souveraineté argentine sur la moitié orientale de la grande île fut établie progressivement tout au long du XIXème siècle. À partir de 1880, l'île fut le théâtre d'un des faits les plus atroces de l'histoire argentine. Des milliers d'indigènes amérindiens furent massacrés par des bandes de tueurs à la solde d'immigrants anglais et croates, propriétaires d'estancias. Cinq livres sterling étaient payés pour chaque indien mort, qu'il soit homme, femme ou enfant.

Les Selk’Nam se protégeaient du froid avec des peaux de guanajos (voir plus loin)

Un aventurier richissime d'origine roumaine, Julius Popper, qui avait établi sa propre loi sur l'île et formé ses propres bandes de tueurs, se vantait alors d'être un « chasseur d'Onas » et exhiba ses propres photos à ce propos. Bien que les pères salésiens aient dénoncé ces horreurs et que leurs rapports soient arrivés au Congrès National à Buenos Aires, rien ne fut fait pour les empêcher, ni pour punir les coupables. Il est vrai qu'à l'époque le président argentin n'était autre que l'ex-général Julio Argentino Roca, celui-là même qui avait conçu et mené la campagne génocidaire anti-indienne dite « Conquête du Désert » en Patagonie. La purification ethnique se poursuivit jusque dans les années 1920.

Après le génocide… d’autres intérêts

Dans le cadre de l'année polaire internationale, la France mena une expédition scientifique en Terre de feu entre 1882 et 1883. L'institution en zone franche, puis la découverte de gisements de gaz naturel et de pétrole ont permis un renouveau de l'économie de cette région.

C'est à partir des années 1980 que le tourisme a fortement progressé, grâce notamment à la réputation de la région pour la pêche sportive dans les rivières à l'image de « bout du monde » dont bénéficie la Terre de Feu. De « la ville la plus australe », Ushuaïa, partent de nombreux bateaux de croisières vers le cap Horn, vers l'Antarctique, dans les canaux fuégiens.

Le Parc national Tierra del Fuego, le canal de Beagle et ses îles sont aussi très visités par de nombreux touristes du monde entier et, parmi eux, de temps en temps, des courageux… à vélo. Car face aux vents, aux températures peu élevées de Patagonie (même en été), il faut être « bardé » de courage et de détermination. Ne vous en faites pas, comme d’habitude, j’en ai pris une bonne dose avant le départ !

De Ushuaïa (Argentine) au port de Punta Arenas (Chili)

La première journée en Terre de Feu fut consacrée à un trekking pour une première mise en jambes : 3h30 de montée pour un dénivelé de près de 1.000 mètres pour découvrir un très beau panorama sur le canal de Beagle, les îles du Sud (la plus extrême mais non visible étant le Cap Horn) et les dernières montagnes Andines qui ne sont pas à comparer à celles du Pérou et de Bolivie.

Au milieu du canal de Beagle, sur une presqu'île, l'aéroport de Ushuaïa

Le soir au camping, nous nous retrouvons à 4 campeurs de 4 pays différents : outre Ricardo, Argentin, il y a Leonardo, un étudiant Colombien et Lisa, une jeune professeure allemande, venue pour des trekkings en Patagonie, une Sueli « bis » voyageant avec un petit sac à dos et une tente de 1,3 kg. Rien à voir avec mes sacs totalisant 30 kgs. Il est vrai que j’ai fait le plein de réserve de nourriture (dont deux pots de choco) au supermarché, car je vise l’autonomie pour plusieurs jours.

Rencontrer des jeunes de pays différents nous aide à comprendre que 20 euros n’a la même valeur selon le pays dont on est le ressortissant. Leonardo s’est acheté une tente à 15 euros, mais n’a pas de double toit, si bien qu’il s’est acheté un film plastique supplémentaire, mais qui ne résistera pas longtemps aux vents patagons. Nous terminons la soirée par le « maté », boisson nationale en Argentine.

Parti le samedi 5 janvier 2019 pour mon périple à vélo, je paie un peu les efforts de la veille mais mes vieilles jambes sont encore assez bonnes pour pédaler durant 59 kms. Pas si mal sur des routes un peu en forme de « montagnes russes ».

Dimanche 6 janvier, je monte un premier col un peu sérieux pour arriver au « mirador » du point de vue « Garibaldi. » Au sommet, un Colombien en voiture attend un cycliste anglais qui tente de battre le record en reliant Ushuaïa à Carthagène au Nord de la Colombie en 40 jours, en parcourant entre 250 et 350 kms par jour (selon les vents dominants). J’entame la descente, très vite, il me dépasse et disparait accompagné de motards. Pas sûr qu’il fera beaucoup de rencontres et qu’il s’arrêtera souvent pour admirer montagnes et lacs.

Le même jour, je rencontre deux couples qui terminent un voyage incroyable : deux Australiens, Nancy et Dave de Sydney sont partis à vélo d’Alaska il y a un an et demi ; encore deux jours de voyage et la belle aventure se termine pour eux.

A Tolhuim, Ricardo ainsi que les Australiens m’avaient renseigné une boulangerie où le patron Emilio, accueille tous les cyclotouristes, très nombreux dans cette partie du monde.

C’est là que je rencontre Sarah et Andy, un couple anglais qui termine également le voyage Alaska / Ushuaïa : 31.000 kms en un an et demi. Partageant la chambre de trois lits, Sarah et Andy me donnent un tas de renseignements pour trouver des refuges le long de la route et pour visiter le fameux parc chilien des « Torres del Paine », où il est impossible de réserver la moindre nuit en camping en ce mois d’affluence de vacances d’été. Je pourrai faire une excursion d’un jour en bus, sans loger dans le parc.

Avec Andy et Sarah de Manchester, arrivant au bout de leur raid Alaska/Ushuaïa

Les jours suivants, d’autres rencontres : la plupart des cyclotouristes terminent leur raid d’Alaska à Ushuaïa, ou de Lima au Pérou. La plupart roulent vers le Sud. Quant à moi, mal renseigné sur les vents dominants, je roule vers le Nord. La plupart du temps, je dois affronter un fort vent de face… sauf ce mardi 8 janvier, exceptionnellement, le vent nous pousse. Je roule quelques kilomètres avec Améline et Romain de Fribourg en Suisse.

Ils étrennent leurs vélos et leurs sacs « Ortlieb » tout neufs ; ils ont pris le départ de Ushuaïa vers le Pérou. Ils sont deux fois plus jeunes que moi ; plusieurs personnes me félicitent de pédaler comme ça à mon âge. Profitant du bon vent qui m’emmène vers le Nord, je parcours 130km en un jour à une moyenne dépassant les 14 kms. Mais les jours suivants, la moyenne baisse à 6 km/h et même à 5 km/h, car le vent est résolument de face… 24 heures durant !

En quittant Rio Grande, je visite le musée historique des Salésiens qui ont tenté de défendre les indigènes face au génocide décrit plus haut. Des documents d’époque retracent la vie de ces indigènes « Selk’Nam » et « Haus » qui furent décimés également par les maladies apportées par les Européens. De 4.000 individus recensés en 1896, il n’y en avait plus que 279 en 1919. Le dernier descendant de ce peuple disparu est décédé en 1999. Pourvu que Bolsonaro au Brésil n’en fasse pas autant !

Une nuit dans une ferme de 3.000 moutons

Mercredi 9 janvier, le passage de la frontière se passe presque sans encombre : pas de contrôle des bagages comme en 2018 à la recherche de fruits interdits à l’importation ; en revanche, la douanière, outre la marque et la couleur du vélo, veut savoir la dimension des roues… du jamais vu au passage de tant de frontières !

Les Chiliens sont super précis (et têtus) dans leurs documents administratifs ! La route qui m’attend n’est pas en montagnes russes mais le vent est impitoyable. Après 40 kms en 8 heures de pédales, je jette l’éponge : j’ouvre le portail d'une ferme que j’aperçois à l’horizon. Bien accueilli par un intendant, je demande à pouvoir dresser la tente mais finalement, je peux cuisiner dans l’atelier et dormir dans le dortoir des ouvriers agricoles, vide ce jour-là.

La ferme (« estancia » en espagnol) compte 3.000 moutons et est autonome en électricité grâce à une petite éolienne et des batteries. En cours de journée, j’avais vu un troupeau de 1.000 moutons au moins, encadrés par deux « bergers » modernes se déplaçant en Quad dans l’immensité des terres patagonnes. Pas sûr que les moutons apprécient ces machines pétaradantes... moins écologiques que les chiens !

Arrivée à Punta Arenas au Chili

Durant trois jours encore, je mors sur ma chique pour faire avancer le vélo malgré le vent de face. Je rencontre des cyclistes plus heureux… le vent les pousse. Ils m’indiquent des endroits pour passer la nuit. Désirant profiter des premières heures du jour où le vent est un peu moins fort, je me couche à 20h et me lève à 4h30, ce qui, compte tenu du décalage horaire de 4 heures, me maintient à l’horaire belge.

Ce samedi après-midi, traversée en ferry du détroit dit de Magellan, durant une heure trente. Tout le monde paie, sauf les vélos… la SNCB devrait en faire autant ! Je me retrouve dans une auberge avec une dizaine de voyageurs (jeunes pour la plupart) à vélo ou « backpackers ». J’ai planté la tente au milieu de la cour.

Je suis allé faire quelques achats pour avoir des réserves de nourriture pour les 5 jours à venir. Objectif 5 x 50 kms jusque Puerto Natales, toujours au Chili. Me dirigeant vers le Nord, je ne puis m’attendre qu’à du vent de face. Et ce ne sera pas des caresses !

Si vous me répondez, déjà je vous remercie de vos encouragements mais je ne pourrai vous répondre … dans la « Pampa » patagonne argentine ou chilienne, le WI-FI n’a pas encore détrôné les moutons et les guanajos (voir photo).

Hasta la vista.
Léon, en Patagonie avec son « Da Silva » qui va bientôt accomplir son 40.000ème kilomètre !