Chers amies et amis de la Transandina, un tout grand merci à celles et ceux qui ont répondu à mon message envoyé du Chili le dimanche 13 janvier dernier. Voici la suite de mes aventures de découvertes au Chili.

Les tours de granit du parc national chilien du Paine

Une nuit dans une ferme d’élevage de moutons « Corriedale »

En route vers le Nord du Chili, vers Puerto Natales, après 36 km en affrontant un vent fort toujours de face, je me résous à tenter ma chance de trouver un hébergement, en entrant dans la propriété d’une ferme. Pourquoi pas, le portail, pour une fois est ouvert ?

A un km de la route, se dressent les bâtiments de la ferme « Tehuel Aike Sur ». Je cherche quelqu’un, un homme passe la tête par la fenêtre, me demande d’où je viens et dit au propriétaire à l’intérieur de l’étable « un estrangeiro ! ». J’appris par la suite que le fermier acceptait souvent d’accueillir des étrangers (en Belgique ce n’est pas nécessairement comme cela comme cela, n’est-ce pas Monsieur Francken ?).

Eduardo, le « berger » aide le fermier à rentrer les moutons pour la nuit, pas tous les moutons, mais quelques-uns sélectionnés pour participer au concours annuel de la foire où en mars, l’on élit les plus beaux moutons d’une race importée d’Angleterre : les « Corriedale » réputés pour leur laine. L’étable est couverte de dizaines de médailles de ce concours. Pour protéger les toisons de la pluie, des insectes et multiples saletés que les moutons risquent d’emporter avec eux lors de leurs escapades, l’on couvre ces quadrupèdes de belles couvertures rouge ou bleu, qu’il faut enlever pour la nuit.

La journée est longue pour Eduardo et il est près de 20 heures quand il m’emmène chercher un gigot dans une chambre froide, en vue du repas du soir. De mon côté, j’amène des pâtes et une sauce qui seront ajoutées à la viande découpée lorsque celle-ci aura mijoté durant plus d’une heure sur un vieux poêle à bois.

Eduardo me raconte sa vie, surtout la partie (10 ans) passée au Brésil, durant les années noires du sinistre Pinochet, lorsque beaucoup de démocrates et d’opposants à la dictature s’enfuirent en Europe ou ailleurs, s’ils ne voulaient pas que le désert d’Atacama soit leur cimetière… où aucune victime n’a été retrouvée ni identifiée (voir le très beau film du réalisateur chilien Patricio Guzman intitulé «Nostalgie de la lumière»).

Eduardo a vécu au Brésil comme vendeur de rue, dans le Nord-Est, où selon lui il était très facile de « s’enrichir » (pour survivre) en vendant des lunettes de soleil, des jouets, des vêtements, etc. C’est ainsi que nous avons pu parler Portugais. Il m’a expliqué également toute la dureté de son travail de berger, 365 jours par an. Il s’est retrouvé seul car l’autre berger a trouvé un travail moins dur. Car du travail il y en a, dans une ferme où il y a 5.000 moutons, où chaque animal dispose d’un hectare. Vous pouvez vous représenter l’étendue de cet élevage.

Eduardo recueille plusieurs peaux de cadavres des animaux égorgés par des « soros », une sorte de Coyote qui ne laisse aucune chance à sa victime. Même la laine de ces peaux récupérées est tondue car elle vaut de l’or. Cette belle laine « carriedale » est expédiée par balles de 200 kg en Europe notamment.

Pour améliorer la race, le fermier se rend régulièrement en Nouvelle-Zélande pour acheter des reproducteurs certifiés, qui se tapent un long voyage en avion jusque Santiago ! Les meilleurs valent un million de pesos chiliens, soit près de 5.000 dollars étatsuniens !

Il est près de 23 heures, quand je me couche, bien au chaud dans mon sac de couchage ; de grands grillages en lattes de bois croisées de plus de 4 mètres de haut, entourent la maison afin de réduire l’impact du vent.

Le matin, à 7h, Eduardo se réveille en sursaut, il n’a pas entendu le réveil… les moutons attendent déjà, une longue journée de travail commence pour lui. Quant à moi, je bois en hâte un café et je quitte cet homme courageux, fan d’Aznavour, de Piaf, des Beatles et de Manu Chao avec qui j’ai passé une inoubliable soirée, en parlant du Brésil et de tant de choses qui émaillent ses dures journées de berger, dans une région, la Patagonie où il fait vraiment dur de vivre.

Plusieurs nuits dans des refuges au bord de la nationale 9

Je prends la route toujours vers le Nord. Il n’y a pas beaucoup de circulation, impossible de garder une trajectoire rectiligne car le vent est toujours aussi déroutant. Quand je risque d’être déséquilibré par des rafales vraiment trop fortes, je choisis de rouler sur le côté gauche de la route pour voir les voitures arriver et m’arrêter sur le côté de la route en leur laissant libre passage plutôt que de me faire attraper par un véhicule venant de l’arrière et que je ne vois pas venir. Car une rafale peut m’envoyer en un instant au milieu de la route… ou dans le fossé !

Je croise un couple de Français qui s’arrêtent : Frédérique et Yves viennent d’Alaska, eux aussi ! Ils m’indiquent une cabane où passer la nuit… dans 35 km. Après environ 6 heures de « pédalage » à une moyenne de 6 km/h, j’aperçois cette cabane, ouverte, réservée aux cyclistes. Il y a un lit, le matelas n’est pas à ma taille… mais je serai bien à l’abri du vent jusqu’au lendemain !

Les Français m’avaient prévenu de l’arrivée d’un couple de Belges, que je n’ai pas ratés dans le petit village de Villa Tehuelches, un des rares noms qui ne soit pas à consonance hispanophone. Médecins tous les deux, Séverine et Antoine font un long périple de San Martin de los Andes (en Argentine) jusque Ushuaïa et ensuite partiront de Mexico jusqu’en Colombie via l’Amérique Centrale. Un bon apprentissage pour relever des défis avant d’exercer ce fameux métier de médecin !

Très sympas, ils racontent leurs aventures et me suggèrent un itinéraire bis pour aller à San Carlos Bariloche via Chile Chico et une partie (goudronnée) de la fameuse Careteira Austral chilienne au lieu de m’époumoner sur les routes argentines venteuses. Mais d’ici là, il y aura encore du vent qui aura « coulé » sous les roues et même un peu plus haut jusque dans le visage. Celui-ci (le mien) a changé de physionomie – vous ne vous en doutez pas – d’autant plus que je ne retrouve plus mon rasoir. De toute façon dans les maisons abandonnées où je dors il n’y a pas de miroir !

Des Belges sympas de Mettet et de Jodoigne en route vers Ushuaïa

Deux nuits de suite à l’abri dans une maison abandonnée

Dont la première renseignée par les policiers du village de Morro Chico, chez qui les cyclistes "intercontinentaux" (comme nous appelle Pierre Doumont, rédacteur en chef de Canal C) peuvent trouver de l’eau.

La seconde, le soir du 16 janvier, la maison un peu en retrait de la route semble inhabitée. La porte de devant est fermée mais celle de derrière, oh surprise est ouverte. C’est-là que je passe la nuit après avoir continué à écrire ce message, et après avoir cuisiné les très quotidiennes pâtes à la sauce bolognaise, en me servant d'appui sur un très vieux poêle !

Arrivée à Puerto Natales, site préhistorique et trek aux « Torres del Paine »

Jeudi 17 janvier, la route n’est pas trop balayée par le vent sauf les derniers kilomètres en approchant de Puerto Natales au Chili, durant lesquels je dois descendre de machine si je ne veux pas me retrouver par terre. Le matin, lors de la visite d’une ferme, la cuisinière m’a offert un bon café avec du pain maison.

A l’entrée de la ferme, les touristes sont invités à voir des Lamas mais ceux-ci sont enfermés en un lieu sûr éloigné de la ferme, car des chiens errants, devenus sauvages, s’attaquent à ces animaux. Les guanajos que l’on voit souvent dans les grandes étendues de la Patagonie sont de la même famille de « camelidés » que les lamas, de même que les alpagas et les vigognes, que l’on rencontre plutôt dans les autres pays Andins : Equateur, Pérou, Bolivie et dans le Nord du Chili et de l’Argentine (cfr Transandina 2009 et 2013).

Heureusement, le vent s’est calmé pour monter la tente dans le camping « Guino » à Puerto Natales où de nombreux backpackers ont déjà monté la leur. Génial : les palettes pour protéger du vent !

Ce vendredi 18 janvier (jour d’anniversaire pour Danielle), je prends un jour de repos complet, bien mérité après 761 km de selle … et aussi pour échanger par Skype, profitant du Wi-Fi, totalement inconnu dans les grandes étendues patagones en dehors des villes !

Après midi visite d’un site préhistorique semblable à celui de Goyet ou celui de Spy avec trois cavernes où les hommes (et sans aucune doute leurs femmes aussi) ont vécu ou survécu au climat très rude de l’époque. Ils croisaient certainement un animal très grand, appelé Milodon, aujourd’hui disparu et découvert par Hermann Eberhard en 1895.

Ces hommes des cavernes étaient les ancêtres des « Patagons », ces indigènes baptisés ainsi par les Espagnols car ils étaient très grands et avaient de long pieds. Certains avaient les yeux bleus, peut-être comme les Vikings dont ils pourraient être les descendants. Une chose est sûre, ce n’est pas Colomb (et toute son armada) qui a mis le premier le pied sur la terre des Amériques. Il faudra revoir nos livres d’histoire !

Caverne du site du Milodon à 25 km au nord de Puerto Natales

Samedi 19 janvier, à 7h du matin, je prends un bus pour un trekking jusqu’aux « Torres del Paine ». Ce sont de véritables tours de pierre de granit, comme vous pouvez le voir sur la photo. Le sentier ressemble à une autoroute pédestre au vu du nombre de marcheurs, surtout en ce mois de janvier.

Le seul à dépasser de temps en temps la limite de vitesse permise est le vent, qui risquerait bien d’envoyer par-dessus bord un randonneur s’approchant trop du précipice. Une belle mais dure randonnée jusqu’au « mirador » des tours : 4 heures de montée en ce qui me concerne (4h30 prévues en moyenne), une heure au sommet et 4 heures pour redescendre. Au sommet, une randonneuse chinoise se met à chanter ; je lui demande la permission d’enregistrer sa voix en filmant ce paysage unique : c’est sublime, malgré les bruits du vent et éclats de voix des personnes présentes.

Dimanche 20 janvier : en route vers Calafate en Argentine

La route vers Ushuaïa est fort prisée par les cyclo-randonneurs longue distance, dont plusieurs viennent d’Alaska. En 13 jours, j’en ai compté 56 pédalant dans le (bon) sens du vent et 2 seulement (des Suisses de Fribourg) dans l’autre sens, celui que j’ai pris… vers le Nord !

Dans une semaine, d’autres nouvelles de la Transandine venant de Calafate. Bonne semaine, malgré le froid qui arrive !

Léon Tillieux depuis le port de Puerto Natales au Chili