Les Andes en fleurs (suite)

Rappel historique d’un long conflit interne à la Colombie (Wikipedia)

Le conflit armé colombien est un conflit interne en Colombie. On date son origine au milieu des années 1960 avec la création de différentes guérillas. À partir des années 1980, des groupes paramilitaires se constituent, se présentant comme une force de contre-insurrection opposée aux guérillas que l'État ne parvient pas à vaincre. Au cours des années 2000, les Autodéfenses unies de Colombie, principal groupe paramilitaire, sont officiellement désarmées après un accord de paix avec le gouvernement (remplacées par des « groupes émergents » moins puissants).

Le conflit se poursuit à la fin des années 2000 entre les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) et l'Armée de Libération Nationale (ELN marxiste), les cartels paramilitaires (BACRIM) et les forces gouvernementales. Le tout dans un contexte de lutte contre un système dominant et d’autre part impliquant un vaste trafic de narcotrafiquants à la dimension internationale (plus proche de nous, le port d’Anvers en est une des plaques tournantes). La drogue, si cela pousse en Colombie et ailleurs, c’est parce que « l’on » en consomme chez nous, et cela rapporte grandement à plus d’un intermédiaire !

Entre 1964 et 2016, le conflit a fait 260.000 morts, 45.000 disparus et 6 millions de déplacés et constitue, selon le sous-secrétaire des Nations unies pour les questions humanitaires, « la plus grande catastrophe humanitaire de l’hémisphère occidental ».

Un accord de cessez-le-feu définitif (les FARC observaient déjà auparavant un cessez-le-feu unilatéral) est annoncé le 23 juin 2016 qui est déclaré comme étant « le dernier jour de guerre » entre les FARC et le gouvernement. L'accord de paix est finalement signé le 24 août avec les FARC et l’ELN. Toutefois cet accord n’est pas validé par le référendum du 2 octobre 2016, comme déjà dit dans mon message précédent.

L’ELN rompt les accords de paix et lance une action de blocage, ce mois de février 2020

Fin 2019, une partie de l’ELN (Armée de Libération Nationale) rompt les accords de paix. Il y a quelques jours, ils annoncent une action d’envergure de blocage des routes pour les 4 jours du 14 au 17 février. Les spécialistes confirment cependant que l'impact du couvre feu décrété par les autorités est et sera limité.

Selon les experts, l'ELN n'est pas suffisamment puissante pour impacter le pays dans son ensemble, au contraire ils estiment leur capacité de nuisance à un nombre très limité de zones et de villages situés dans des régions pour la plupart reculées et non touristiques.

Concrètement : dans les régions les plus touristiques du pays (Bogota, Medellin, Pereira, Armenia, Santa Marta, Cartagena) aucun problème n'est à signaler et tous les services de transports fonctionnent.

De manière plus générale les tensions sont limitées aux régions frontalières avec le Venezuela et en particulier le Catatumbo, l'Arauca et le Vichada, et au sud du pays dont certaines parties du Cauca, Choco et Nariño, c’est justement là (Nariño et Cauca) que nous (les deux amies belges Alexandra et Valentine et moi-même) nous nous trouvons en ces 14, 15, 16 et 17 février !

L’ELN (Ejercito de Liberacion Nacional) rompt la trêve

Mais pas de panique, nous sommes vigilants !

Comme je me trouve dans la région entre Popayan et Pasto, je suis très vigilant. Ce samedi 15 février, en quittant le village de Rosas, j’entame une très longue descente, environ 75 km, mis-à part une côte de 2 km et quelques petites de temps en temps. C’est bien mais je me dis que pour arriver à Pasto, je vais devoir remonter tout cela.

Au début, il n’y a presque personne qui circule, il fait subitement plus facile respirer ! Au premier péage, les deux dames employées attendent les véhicules, nous avons le temps de causer, « bater un papo » comme l’on dit en brésilien.

Un peu plus loin, quelques militaires sont de garde. Quelques mots échangés avec eux, la situation est sous contrôle. Je puis continuer ! Le premier militaire me répond gentiment. Le second, fait le salut en claquant des talons quand je passe, comme si j’étais un officier ! Quel honneur, « moi qui ne fut même pas soldat », dirait Jacques Brel !

Militaire en mission de surveillance (photo prise en « stoemelings»)

Au terme de la journée, je traverse un pont qui « danse » à chaque passage de véhicule lourd. De l’autre côté, des militaires sont retranchés, cachés dans les arbres avec armes et jumelles. Pas de danger ! Merci à Anne Dollet de France pour les infos actualisées reçues par courriel le 14 février.

Une rivière dans une vallée magnifique

Le matin, en échangeant avec Tania et son frère, deux jeunes qui marchent le long de la route, munis d’une machette (pour couper un peu d’herbe pour les moutons), ceux-ci me disent qu’ils ne craignent pas trop les « guerilleros ». D’abord, ceux-ci ne s’en prennent pas aux paysans mais bien aux voyageurs des voitures et des bus qui, étant donnés qu’ils voyagent, ont toujours sur eux quelques (cela varie) réserves de pesos, ou des dollars, des euros lorsqu’il s’agit de voyageurs étrangers à vélo par exemple... Mais comme déjà dit, j’avance « à vue » !

Tania et son frère sont rassurants

Commentaire : en fait les membres de l’ELN, entendent par cette action, rappeler qu’ils existent encore, montrer qu’ils sont toujours actifs et qu’il faudra tenir compte de leur organisation à l’avenir. Ils prétendent ainsi, qu’en bloquant les routes, au moins on parlera d’eux.

Rencontre d’un globe-trotter marchant de Ushuaïa jusqu’en Alaska.

Dimanche 16 février, alors que peu de véhicules circulent, je vois arriver devant moi un marcheur poussant un tricycle, plutôt une remorque dans laquelle prennent place d’habitude un ou deux enfants derrière l’un de leurs parents à vélo. Il s’agit de Oliwer, un jeune slovène, parti d’Ushuaïa à pied avec l’intention de rejoindre l’Alaska, un voyage demandant environ trois ans pour plus de 26.000 km.

L’an passé, en Argentine, j’avais croisé un Japonais qui terminait le même chemin mais en sens inverse et qui marchait pour la paix ! Oliwer n’est pas seul, il a recueilli un chien abandonné au Pérou, qu’il a baptisé Carlito, qui se laisse conduire car il a trouvé une place privilégiée dans le « véhicule ».

Depuis le départ (plus de 13.000 km parcourus), Oliwer a usé trois paires de pneus et cinq paires de chaussures. Il est passé également par le fameux tronçon de la « carretera austral » au nord du lac du désert en Argentine (vous vous souvenez du reportage de la Transandina 2019) Il a du porter son tricycle après en avoir vidé le contenu. Bonne chance et courage à ce globe-trotter exceptionnel qu’il est rare de rencontrer.

La longue montée vers Pasto

Dimanche 16 et lundi 17 février : deux jours très durs. Chaque jour une belle descente mais en compensation une montée équivalente de l’autre côté de la rivière traversée. Ce lundi, la remontée fut particulièrement longue : j’ai du pousser le vélo pratiquement tout le temps, soit 4 heures pour parcourir 12 km !

J’accompagne de temps en temps un cycliste colombien venant de Cucuta, à la frontière avec le Venezuela. Il va en pèlerinage à Ipiales, à la frontière équatorienne, vers le sanctuaire de « les lajas » où affluent des pèlerins là où la Vierge est apparue en 1754 à Maria, une femme indigène et à sa fille Rosa.

Il a très peu de bagages ; vous pourrez comparer les photos des deux vélos. Il me dépasse plusieurs fois et je le rejoins. Malgré le fait qu’il a peu de bagages, il ne va pas plus vite, il fume !

Ce lundi soir, très fatigué, après un bon repas au restaurant situé au sommet de la côte de 12 km, j’ai eu beaucoup de chance. Un monsieur refuse dans un premier temps que je plante la tente chez lui, m’envoie chez « une voisine » et puis se ravise en se rappelant qu’il était passé aux Pays-Bas et en Belgique il y a 35 ans.

Finalement, je puis dormir à l’abri et bénéficier de la toilette alors qu’il ne compte pas passer la nuit ici. Merci pour la confiance Alvaro !

Une longue journée vers Pasto où il fait froid

La journée de ce mardi 18 février me parut bien longue. Peu de descentes si ce n’est à la fin du parcours, peu de possibilité pour moi de rester sur la selle. Dès lors une moyenne très basse : 6,29 km/h.

Au long de la route, toujours des réfugiés qui marchent inlassablement, avec à un certain moment un chassé-croisé : ceux et celles qui continuent vers l’Equateur et le Pérou et de l’autre côté de la route, ceux qui en reviennent. Certains ont dans leur sac quelques outils ; ils trouvent parfois du travail dans la construction, la pêche me disent-ils

Des jeunes se plaignent qu’ils ont faim, je partage le maigre surplus de nourriture de la veille mais ce n’est pas une solution durable. En ce qui me concerne, je suis ravitaillé en « carburant » énergétisant (sporade tropical) par une famille qui s’est arrêtée pour le pique-nique. Un peu plus loin, ils me dépassent et la dame me tend un billet de 10.000 pesos (3 Euros), surprenant !

En arrivant à Pasto (plus de 2.500 m d’altitude), il fait froid et certains des réfugiés sont enroulés dans une couverture. Sur une place, une petite échoppe où un homme prépare des beignets ; un réfugié s’approche et en reçoit quelques-uns. De même dans les restaurants, il y a toujours une part pour eux.

Echanges sur la situation politique, économique et sociale de la Colombie

Pour deux nuits, je loge chez Alvaro qui vit avec son frère Théo et qui m’a accueilli la veille dans sa seconde résidence, sa « Datcha » comme on dirait au pays de Poutine. Alvaro a le même âge que moi et est toujours impliqué dans la commercialisation de produits agricoles. Il est agronome de formation et a enseigné à l’université de Pasto.

Le soir, nous échangeons sur l’histoire et la situation économique de la Colombie. Un pays aux nombreuses richesses et potentialités mais qui sont mal exploitées et surtout mal réparties. Un gouvernement conservateur qui soutient en priorité les intérêts des riches. Les propriétaires, ils sont à peine 4% de la population et ils détiennent à eux seuls 95% des terres.

Des terres, mal exploitées avec des étendues parfois de 25.000 hectares, improductives. Certaines terres sont consacrées à la production de canne à sucre dont le bénéfice rejoint leurs propriétaires vivant en Europe ou en Amérique du Nord. La Colombie regorge d’eau potable de par ses montagnes mais le système est mal géré, et le robinet ne laisse parfois s’écouler qu’un petit filet d’eau. Cette situation crée dès lors beaucoup de frustrations, qui engendrent vols, délinquance, violence et groupes révolutionnaires.

Alvaro est partisan d’un système coopérativiste et d’un dialogue avec les « activistes », ceux qui veulent que cela change, ce qui n’est pas l’option du gouvernement qui met en œuvre une répression parfois violente. Des leaders paysans disparaissent ou sont assassinés. Tout cela entraine, comme au Chili, des mouvements de protestation dans la rue. Heureusement en Colombie, on n’en est pas à la situation catastrophique du Venezuela voisin.

Le mercredi, c’est avec Théo, le frère d’Alvaro que je vais prendre le repas de midi. Il m’emmène au petit marché non loin de chez lui. Les étals regorgent de fruits et légumes. Le repas (soupe à l’arôme délicieux, poulet, riz, maïs) coûte à peine deux euros, en fait un prix abordable pour ceux qui gagnent en moyenne l’équivalent de 10 euros par jour, 300 par mois. Autre part en ville, apparaissent des « fast foods » légèrement plus chers mais qui ont oublié les senteurs et la convivialité locales.

Après la visite de Pasto laquelle, comme à Popayan, regorge d’églises de styles très différents, certaines d’un style « dit colonial », je prends la route vers Ipiales et la frontière avec l’Equateur.

Je compte arriver à Quito vers le 29 février. Je devrai redoubler d’attention : j’ai constaté une fuite d’huile dans le cable du frein Magura avant. Je devrai me contenter d’un seul frein en espérant que d’ici la fin du voyage, le frein arrière ne me lâchera pas. Ma fille Sueli avait eu le même désagrément en Asie en 2017, lors de son tour du monde et avait du finalement monter des freins traditionnels.

Quelques photos, avec leur commentaires

Devinez quelle ancienne voiture française construite à des millions d’exemplaires, se cache sous le magasin ambulant ?

Sans commentaire

Non ce n’est pas la coupole du Vatican mais celle d’une église de Popayan

Une photo de plus de Popayan, la « ville blanche »

Pasto fresque murale, rappelant la longue liste de leaders paysans assassinés. Il est écrit : « Nous – les paysans – fermons les yeux et nous nous souvenons ; vous – les responsables de ces meurtres – vous fermez les yeux et oubliez»

Rentrée à l’écurie, Buenas noches !