Chers amies et amis de la Transandina, voici le compte rendu de la « randonnée » à vélo entre El Calafate et El Chalten, toujours en Argentine.

Le Fitz Roy et les montagnes environnantes, à 50 km avant d'arriver à El Chalten

Un coup de téléphone de la Radio Namuroise

Vendredi 25 janvier, à 6h56 je reçois un sms de Théo Mertens, animateur à la Radio RCF Namur, chanteur pour enfants et aussi pour adultes : « j’appelle dans 4 minutes ». Grâce au téléphone fixe du camping (merci à la dame déjà levée), nous pouvons échanger sur les nouvelles importantes de la Transandina à l’attention des auditeurs, comme ce fut déjà le cas pour les voyages précédents. Par exemple ce qui suit :

Sur un panneau routier : « hôpital dans 220 km »

Quand vous pédalez sur une route patagonne et que vous lisez un tel panneau, vous redoublez de vigilance pour ne pas tomber et vous blesser, comme un malheureux guanajo, que j’ai vu prisonnier des fils de la clôture qu’il a voulu sauter mais en ratant son coup ! Il n’y avait bien sûr pas de service de secours pour lui … et les rapaces se sont régalés !

Autre anecdote : « des timbres postaux si c’est possible ? »

Une autre anecdote : voulant envoyer trois cartes postales dont une à Ferdinand Marlet, mon ami qui va fêter ses 90 ans fin février, je cherche trois timbres postaux. Je me rends par conséquent à la poste de la ville de El Chalten, « le Chamonix de l’Argentine », où il y a des centaines de randonneurs ; je m’attends donc à une très longue file.

Que nenni, un seul client demandant une chose impossible, si bien que cela dure… et cela m’énerve ! Entretemps une randonneuse française arrive pour acheter un timbre afin d’envoyer une carte postale à sa grand-mère, sans doute pas encore « branchée internet » ! (Certains diront - peut-être irrespectueusement - " Comment est-ce possible ? ").

Finalement, la gentille dame à qui je demande trois timbres internationaux, me répond qu’elle n’en a plus, qu’il y en aura dans une semaine et que si j’en veux, je puis me rendre… à El Calafate, à 216 km de là (heureusement le vent est « poussant » dans cette direction !). Qui croira encore qu’à l’avenir il y aura toujours un bureau de poste près de chez vous ? Quant à mes cartes postales, elles attendront le Chili, si bureau de poste il y a, avec des timbres ? Quant à toi Ferdinand, je sais qu’une gentille dame de ton entourage imprime mes messages courriel, ainsi tu verras que je ne t’oublie pas !

Un conseil de sage pour changer d’itinéraire

Vendredi 25 janvier, départ à 9h ; emporté par le vent et dans le sens de la descente, je parcours 32 km en deux bonnes heures, laissant El Calafate derrière moi. Un VTTiste me dépasse et quelques km plus loin, après avoir fait demi-tour (son tour quotidien), il s’arrête pour « bater um papo » comme on dit en brésilien.

Je lui dis que je vais vers le Nord, vers Carlos Bariloche, via Perito Moreno. En bon sage (il me devance de 5 ans), il me donne un conseil : ne pas prendre cette route qui me ferait passer par plusieurs centaines de km sans possibilité de ravitaillement… et où il n’y a rien à voir : un véritable désert dans tous les sens du terme ! En revanche, il me conseille, comme me l’ont déjà dit plusieurs cyclo-randonneurs rencontrés depuis trois semaines, de prendre la « careteira austral », cette dure mais belle route qui traverse la partie extrême du Chili sur plusieurs centaines de kms, dans le sens de la longueur (en largeur, ce ne serait pas très long).

D’ici El Chalten, je dois encore réfléchir et prendre une décision. Un cycliste allemand qui en revient, me donne des détails importants si je passe par là : prendre des réserves de nourriture ; il n’y a pas de vent mais parfois de la pluie. Il faut parfois prendre un bateau mais pour un des lacs, il n’y a pas de bateau tous les jours… donc il faut camper en attendant. Bon je suis prévenu.

Un hôtel à l’abandon squatté par les cyclotouristes

Une grande amitié naît automatiquement des rencontres entre cyclotouristes qui se croisent. Echange d’informations sur l’état des routes, les distances, la météo… et les possibilités d’hébergement. Celles-ci ne sont pas nombreuses dans le désert patagon. Il y a parfois des maisons abandonnées où j’ai déjà passé la nuit à l’abri. Il y a aussi deux hôtels qui ont fermé leurs portes au bord d’une route où il y a finalement peu de circulation ; des touristes oui mais qui filent directement vers El Chalten, El Calafate, Torres del Paine, etc. Dans un de ces hôtels, j’ai pu me cuisiner des pâtes à l’abri.

Sur les murs, remplis de graffitis, dessins et commentaires dans toutes les langues, l’on peut passer son temps à lire les nouvelles et les émotions exprimées par des solitaires, des couples, parfois des familles qui ont choisi de se lancer dans de très longs voyages, qui durent parfois plusieurs années… témoins les photos ci-dessous.

Des Français ont réalisé la liaison Quito – Ushuaïa, je ne suis donc pas le seul à l’avoir fait. Mais eux, apparemment en un seul voyage !

Une expérience de vie qui rendrait les personnes pédalantes plus humaines ?
Conseil à suggérer à certains de nos ministres belges (surtout du Nord du pays) !

Le petit « Renard du désert » de Patagonie

Rien à voir avec l’un des généraux allemands de la guerre 1940-1945 en Afrique du Nord (Rommel), mais d’un gentil animal qui s’approche des voitures qui s’arrêtent sur le parking du « mirador » d’où il est possible d’admirer les chaînes des montagnes des Andes marquant la frontière entre Chili et Argentine, dont le fameux « Fitz Roy ».

Ainsi voici une belle photo de ce gentil animal qui semble dire « Je voudrais bien que tu me dessines un mouton, mais s’il te plait, un que je n’ai jamais vu, un beau mouton de ton pays, car ici, il y en a tellement et ils sont tous pareils ! » et une autre photo croquant les regards – humain et canin – captivés par cet animal qui n’a rien de bien méchant.

Un autre petit animal qui a risqué sa vie en traversant la route devant moi. 
Heureusement il n’y avait pas de poids lourd à ce moment-là !

Du vent de nouveau en voilà, qui m’oblige à marcher à côté de mon cheval et de le pousser !

En roulant vers El Chalten, vers l’Ouest, c’est en plein contre sens du vent. Au début, cela va mais aujourd’hui, ce dimanche 26 janvier 2019, alors que levé à 3h, parti à 4h05, j’avais pu rouler une dizaine de km sans vent, celui-ci s’est levé et est devenu de plus en pus fort. Après avoir dû pousser ma monture durant 5 km, j’ai décidé d’arrêter, de monter la tente et d’attendre le lendemain matin, en me levant encore plus tôt, dès 3h pour espérer parcourir les 25 derniers km sans trop de difficultés. « Vederemos ! »

De belles rencontres

Samedi 26 janvier, au bord du lac de Viedma que l’on suit durant près de 90 km, je croise un groupe de 4 cyclistes qui ont démarré leur voyage à El Chalten le matin-même. Les vélos, les sacs « ortlieb » sont neufs, les deux hommes et les deux femmes, semblent être en forme : ils pédalent poussés par le vent et rencontrent leur première côté un peu sérieuse.

Trois brésiliens et un italien, l’occasion de me réhabituer à ces deux langues que j’aime car très chantantes, qui de plus est avec des personnes charmantes. Et puis une bonne nouvelle : une des brésiliennes, prénommée Christina et l’italien du groupe ont initié leur belle histoire d’amour, en Europe, sur le chemin de Compostelle ! Pourquoi pas la continuer sur la route vers Ushuaïa ? Mais cette fois, à vélo !

Des cyclo-randonneurs « heureux » d’Italie et du Brésil

Le vent d’où vient-il ?

Il est vrai comme dans une des chansons que me rappelle mon ami Yves de Gentbrugge dans un courriel reçu : « le vent souffle où il veut, mais tu ne sais pas d’où il vient et tu ne sais pas où il va ». Toutefois, en ce qui me concerne, quand il m’empêche d’avancer, je sais bien qu’il est de « face », peu importe d’où il vient et quand j’avance plus vite que je ne le souhaite - excusez-moi l’expression - je sais bien qu’il est « de fesses » et peu importe où il va, pourvu qu’il m’emmène à bon port !

Une photo avec un vent qui est de « face »

En attente du soleil

A El Chalten, alors que j’avais pu voir la magnifique montagne du Fitz Roy (3.405 m) à plus de 70 km à vol d’oiseau, lorsque j’arrive, tout est dans le brouillard. Le froid s’installe, les randonneurs venus ici pour s’adonner à leur sport favori, doivent attendre des jours meilleurs ou partir malgré tout dans le brouillard.

Au camping, je retrouve mes amis suisses, Améline et Romain qui m’annoncent qu’ils restent encore quelques jours pour un long trekking de 4 jours et - bonne nouvelle - que le soleil s’invite fin de semaine. Me voilà en repos 4 jours ; je choisi d’attendre et de ne pas perdre l’opportunité de m’approcher d’une des plus belles montagnes d’Amérique (du Sud).

Une nuit à l’abri dans un abri prévu pour protéger les animaux du vent

Cherchant un endroit calme pour planter ma tente, je découvre à quelques centaines de mètres du départ de la randonnée vers le Fitz Roy, un endroit chouette pour être à l’abri du vent et du regard : un abri prévu – il y a longtemps – pour que les humains (et sans doute aussi les animaux) puissent se mettre à l’abri du vent (des vents, car ici il faut toujours parler au pluriel).

C’est ainsi que j’installe ma tente un peu comme Alexandre et Sonia Poussin (voir « Africa Trek », récit en deux volumes d’un long voyage à pied du Cap de Bonne Espérance en Afrique du Sud, jusqu’en Palestine) dans un abri entouré de branches d’arbres et d’épines. Mais eux, c’était pour empêcher les hyènes et autre animaux dangereux de les importuner durant leur repos nocturne. Ici pas question de cela, les dernières chèvres ont déserté le lieu depuis que des centaines de randonneurs passent par ici avant de monter vers d’autres paysages.

Un bel abri pour la nuit, à l’abri du vent et des animaux sauvages et la tente est invisible !

Un vélo suisse rebaptisé « Léon »

Parfois les vieux que nous sommes inspirent des plus jeunes, comme en témoigne le courriel reçu de deux cyclotouristes suisses en route sur la « careteira austral ».

« Salut Léon! Super ton article: oui les Suisses sont en pleine admiration devant ce "vieux" en pleine forme qui a réussi à braver le vent ! Je ne te l'ai pas dit mais j'ai d'ailleurs nommé mon vélo "Léon". Je sais ainsi qu'il ne me lâchera jamais même s'il n'est pas tout neuf ! Demain (30 janvier) nous partons pour faire 4 jours de trek. Nous partons donc le dimanche 3 février pour O’Higgins (1er ferry à 16h30) et le 2eme ferry nous le prendrons le lundi 4 à 17h. Tu seras probablement déjà parti... peut être nous reverrons nous sur la carreterra australe. Profite bien du Fitz Roy. Et que le vent soit avec nous pour le vélo » Signé Améline et Romain de Fribourg

Améline et Romain, cyclo-randonneurs suisses, partis de Ushuaïa, à peu près au même moment que moi, rencontrés le long de l’océan Atlantique en Patagonie et retrouvés à El Chalten. Au vu de la couleur des sacs, fraîchement sponsorisés, il apparaît que ceux-ci n'ont pas vécu autant que les miens !

Enfin la randonnée du Fitz Roy a eu lieu

J’ai bien fait d’attendre le vendredi 1er février pour démarrer vers le Fitz Roy, bien équipé de ma tente Salewa (déjà âgée de 18 ans mais toujours aussi résistante au vent et à la pluie, munie de deux nouvelles tirettes en acier cousues par mes soins. Et oui, on peut se faire à tous les métiers), de mon matelas gonflable Thermarest (qui a malheureusement un petite fuite depuis deux jours, vraisemblablement à cause d’une épine), de mon camping gaz et d’une bonne réserve de nourriture et d’eau.

Une boucle de trois jours me permettant de monter jusqu’à la « laguna Torre », en campant le premier jour non loin de là, ensuite au campement Poincenot pour, très tôt le matin du dimanche 3 février, dès avant le lever du jour, monter à la « laguna de los tres » pour admirer un lever du soleil comme il n’y en a que très rarement !

Avec un sac à dos de location, j’ai parcouru une quarentaine de kilomètres en montagne. Le lever du soleil sur les montagnes surplombant la « laguna Torre » a été rouge feu au moment même où le soleil se pointait à l’horizon (voir les très belles couleurs sur les photos ci-dessous).

Le lendemain dimanche, parti dès 4h15 pour gravir les deux km extrêmement difficiles jusqu’au pied du « Fitz Roy ». Le soleil s’est fait attendre et la cinquantaine de spectateurs furent quelque peu déçus : des nuages à l’horizon contrariaient l’apparition du soleil ; celui-ci jeta - mais un peu tard - ses rayons sur les flancs des montagnes à pic. Pas de rouge flamboyant comme la veille, il n’en reste pas moins que toute la journée, ces magnifiques montagnes (certainement les plus belles d’Amérique du Sud) furent majestueuses, dans un ciel serein, comme vous pourrez les admirer sur les photos jointes.

« Il y a toujours une foule nombreuse pour admirer un feu d’artifice, mais peu se donnent la peine de s’éveiller avant l’aube pour admirer un lever de soleil »

Tel est l’objet d’une dissertation dont je n’ai jamais oublié le titre et que j’ai eu le bonheur de rédiger en Rhétorique au Collège de Bellevue en 1966 (« meu Deus, que c’est loin déjà ! »), avec le regretté professeur Joseph Thibaut. C’est avec beaucoup de bonheur que j’ai eu l’occasion de vivre cette expérience unique au pied de la montagne de la tour, située un peu au Sud du Fitz Roy.

D’aucuns me diront qu’un feu d’artifice c’est quand même merveilleux et il se trouvera toujours un politicien ou l’autre pour dire que finalement, cela ne coûte pas si cher que cela aux finances communales… et que finalement, cela distrait les gens ! Bref du pain et des jeux pour amuser les citoyens : les empereurs romains, en leur temps, avaient déjà compris ! Combien de temps faudra-t-il encore pour que l’on puisse éveiller les consciences humaines autrement ?

En route vers la « careteira austral »

Ce lundi 4 février 2019, je prends la route vers une autre partie très difficile de mon voyage : retour au Chili, pour commencer la fameuse « careteira austral ». Des détails dans un prochain message. Je n’aurai guère de couverture réseau ni de Wi-Fi, dès lors ne vous attendez pas à avoir de mes nouvelles si facilement. Mais un jour, ce sera possible.

A bientôt. Léon Tillieux - Transandina 2019

Les photos suivantes concernent, en premier lieu les Tours du Fitz Roy, ensuite un glacier proche du Fitz Roy et enfin les belles couleurs au lever du soleil sur la tour de la "laguna Torre"