Je vous retrouve au Chili, voici le compte-rendu des derniers jours, d’une Transandina qui n’est pas toujours à l’image d’un « long fleuve tranquille »

Dernier regard sur la montagne du Fitz Roy en Argentine au coucher du jour

De El Chalten au lac du désert : 39 km de vélo sur une route en « ripio »

Lundi 4 février 2019, après avoir une dernière fois admiré le soleil levant illuminer la magnifique montagne du Fitz Roy, je prends la route vers le Nord, direction « lago del desierto ». Trois cyclistes français me rattrapent. Craignant un problème avec ma chaîne, j’ai besoin d’un dérive-chaîne, le mien ayant rendu l’âme. Cinq minutes et le problème est résolu ; je puis aborder la « careteira austral » sans trop de craintes.

Nous faisons connaissance : Vincent, Nicolas et Damien sont partis pour un long voyage à vélo jusqu’en Colombie, espérant y arriver à l’automne. Sur le badge de leur voyage, il est marqué en espagnol : « seis ruedas - cinco piés ». Ayant pris du retard, Damien, originaire de Rocroi, à deux pas de chez nous, me dépasse ; c’est à ce moment que je me rends compte qu’il a une jambe artificielle… d’où le nom de leur trio : « six roues pour cinq pieds ». Les trois amis, travaillant dans le domaine d’économie d’énergie, ont préparé ce voyage durant un an et ont pris une longue pause-carrière pour l’accomplir et réaliser leur rêve.

Le courage de Damien me rappelle une image qui est restée gravée dans ma mémoire depuis 1961 et qui explique en partie comment, lors de mes voyages à vélo, je parviens à dépasser les difficultés qui se présentent à moi. En juillet de cette année-là, au Tour de France, Rik Van Looy avait gagné la première demi-étape du jour qui arrivait avenue Bovesse à Jambes; l’après-midi, une seconde demi-étape contre la montre par équipe était organisée en circuit à Jambes.

Avec mon oncle Rémi de Strud et son vélo presque aussi âgé que lui, ainsi qu’un ami prénommé Joseph d’Andoy, nous étions allés à vélo d’Andoy à Erpent (tout au plus 3 km), là où il y avait le garage Aunalux. Plus d’un demi-siècle plus tard, le site est toujours à l’abandon… nous sommes tout près de Namur !

Au retour, mon ami et moi, nous râlions parce qu’il fallait monter les 400 mètres de la côte de « la Perche » vers Andoy, nom qui fut donné par les conducteurs de charriots tirés par des chevaux qui remontaient des mines de derle du « fond d’Andoy » ; arrivés au sommet, avant d’entamer la descente vers Namur, l’on attachait les chevaux à « une perche » (d’où le nom du carrefour et de la côte).

Mais revenons à nos vélos ; alors que nous étions descendus de machine, un jeune gars nous dépasse, sans descendre de vélo et pour cause, il n’avait qu’une jambe et sans béquille ni jambe artificielle; il n’aurait jamais pu faire comme nous. Une image qui m’est revenue en voyant le courage de Damien.

Avec Vincent, Damien et Nicolas, l'équipe "6 roues et 5 pieds" en route vers la Colombie

Arrivés à temps pour prendre le bateau qui traverse le « lago del desierto » dans sa longueur, mes amis prennent un bain dans une eau bleue transparente. Toutefois le lac porte bien son nom; c’est un véritable désert : pas le moindre magasin, pas moyen d’acheter le moindre réfrigérant !

Arrivés au nord du lac, les amis s’arrêtent pour camper pour la nuit. Après avoir passé la frontière argentine, je me décide à commencer l’ascension. L’on m’avait prévenu : 6km de montée par un chemin, difficilement empruntable par des Vététistes, si bien qu’avec un vélo bardé de 40 kg de bagages, c’est pratiquement impossible, à moins de décharger les bagages et les monter un à un vers le sommet… et bien sûr de redescendre pour aller chercher la bicyclette.

Je croise au moins une quinzaine de cyclo-randonneurs qui vont vers le Sud. A un moment quatre espagnols me croisent. J’entends une des filles dire en espagnol à son copain : « Il faudrait aider le vieux ! ». Le gaillard, baraqué comme un judoka, monte quatre de mes sacs sur 500 mètres en moins de deux. Il me demande en Espagnol « c’est des boules de pétanque que tu transportes ? ». « Et bien non, de la nourriture et de l’eau, puisque l’on m’avait dit que c’était un désert ! »

Le soir, je plante ma tente au « mirador » d’où j’ai une vue splendide sur le lac et le Fitz Roy, toujours bien visible à l’horizon et ce – une fois de plus - avec un magnifique coucher de soleil.

Un parcours de vététiste pour rejoindre le lac de Vila O’Higgins

Le lendemain matin, parti de bonne heure pour parcourir les 4 km restant, bourrés d’embûches, de passages de rivière sur des ponts branlants, un itinéraire interminable au profil de « montagnes russes » ; une erreur de parcours m’emmenant à un cul de sac me faisant perdre du temps. Peu de gens me croisent ou me dépassent.

Un couple de Londoniens, à pied me dépasse; je les retrouverai un peu avant la frontière, m’offrant une partie des fruits qu’ils ne peuvent consommer et avec lesquels il est interdit d’entrer au Chili. Rappelez-vous ma mésaventure l’an passé à la frontière chilienne en route vers l’île de Chiloé.

Une autre rencontre très encourageante fut celle d’un couple sympathique de Tallinn en Estonie. Laura et David, le bagage léger, me rattrapent et me ramènent un de mes sacs que j’avais déposé au pied d’une terrible montée, croyant que je l’avais perdu. David, très sympathique se propose alors de porter le bagage jusqu’à la fin du passage difficile. Il restait un km. Vers 14h, me voilà à la fin du passage difficile : six heures pour 4 km, avec une erreur de parcours et un temps repas, mon estomac le réclamant légitiment, vous m’aurez compris !

Après avoir retrouvé le bagage au sommet, il me restait à parcourir les 14 kms jusqu’au contrôle de frontière chilien. Les derniers kms, la pente étant tellement dangereuse, je descendais doucement et malgré cela une chute à cause de ce foutu matériau utilisé pour les routes argentines et chiliennes : le fameux « ripio », des graviers dont une partie roule comme des billes de roulement de bicyclette !

David (le porteur de bagages) et Laura de Tallinn en Estonie

Arrivé au camping, je retrouve les randonneurs qui m’avaient dépassé. Nous parlons du bateau qui viendra le lendemain nous chercher. Viendra-t-il, ne viendra-t-il pas… tout dépend du vent qui s’est levé ? Y en aura-t-il un à 14h ? Il semble que oui aux dernières nouvelles. Mes amis Français ne pourront le prendre car ils ont déjà réservé par Internet pour celui de 17h, et ce n’est pas la même compagnie.

Quant à moi, je n’ai pas acheté à l’avance, ne suivant pas l’exemple de mes amis suisses, Améline et Romain, qui apparemment ont deux jours d’avance ; je leur fais un petit coucou par l’intermédiaire de ce message. La température s’est bien radoucie. Au camping, très rustique, il parait qu’il y a moyen de prendre une douche chaude. Nathalie, une des randonneuses se charge de faire du feu pour chauffer l’eau du réservoir : « dans une heure, nous pourrons prendre une douche ! » Mais y en aura-t-il pour tout le monde ?

Traversée du lac d’O’Higgins

O’Higgins, homme important dans l’indépendance du pays. Voir sur Wikipedia, pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus. Le bateau qui devait partir théoriquement à 14h, partira en fait à 16h30. C’est un petit bateau rapide. Le vent fort sur le lac soulève des vagues terribles que le bateau affronte de face. Le bateau commence à se soulever et à retomber aussitôt avec grand bruit.

Le capitaine nous demande de nous regrouper dans le fond du bateau pour diminuer l’impact de la houle. Après deux heures, nous débarquons à Bahia Bahamondèz à 7 km de Vila O’Higgins. Je dépasse cette ville de cinq km et je demande l’hospitalité dans la dernière maison sur la route vers Yungay.

Une petite ferme avec quelques vaches et moutons ; 4 chiens (attachés) annoncent mon arrivée. Le fermier (79 ans) m’invite à passer la nuit dans une grange « car il va pleuvoir » dit-il ! Il m’invite à prendre un café ; son épouse (86 ans), le dos courbé par une vie dure de travail, me prépare des tartines, du bon beurre (de ferme) et du fromage. Bel accueil – un de plus - à inscrire dans mes carnets de voyage.

Le lendemain matin, le couple dort encore quand je me mets en route ; je ne trouble pas leur repos et je prends la route de la « carretera australe » (remarque, avec l’écriture espagnole correcte « careteira » c’était plutôt du portugnol !)

Vers Yungay sur le lac du Rio Bravo

L’itinéraire comptant 100 kms entre Vila O’Higgins et le lac de Yungay où nous prendrons le bateau, passe par 4 cols. Après 40 km de route, trois têtes connues me rattrapent, ce sont les amis du trio « Damien » ; un quatrième français, Philippe (un jeune retraité de 62 ans, grand-père de 9 petits-enfants)s’est joint au trio ; il vient du Brésil … où il a eu très froid !

Tous les cinq, nous campons au même endroit : une des rares maisons situées sur l’itinéraire. Je plante ma tente à côté d’un énorme engin de chantier. La pluie s’invite durant la nuit. Le matin, je pars à l’avance … je serai rattrapé au sommet du troisième col. Nous croisons des Français qui réalisent la liaison vélo entre Cartagena (Nord de la Colombie) et Ushuaïa, « ville du bout du monde … à l’extrême Sud ».

Quant à nous, nous arriverons pratiquement ensemble au port de Rio Bravo, une demi-heure avant le départ du ferry qui nous emmène à Puerto Yungay. Ce trajet faisant partie de la « carretera austral », c’est l’Etat chilien qui prend en charge le coût de la traversée … bonne affaire pour notre budget bien entamé par le coût des traversées en bateau des jours précédents (40 + 60 dollars, vélos gratuits heureusement) !

Le ferry que nous empruntons porte le nom du « Padre Antonio Ronchi ». Bien avant que la « carretera austral » relie ce coin perdu au Nord du pays, ce missionnaire italien a travaillé durant plusieurs décennies pour apporter l’essentiel nécessaire au développement d’une région défavorisée : des écoles, des centres de santé, des bibliothèques.

Dans le bateau, parmi quelques revues touristiques, il y a un exemplaire d’un document pastoral de 2005 lequel, dix ans avant celui de « Laudato Si » du Pape François, traite de l’enjeu crucial de l’environnement. Cette région du Chili encore pratiquement intacte, représente un enjeu majeur comme la forêt Amazonienne : ici, ce sont essentiellement les réserves d’eau alimentées par des glaciers, qui lentement risquent d’être mises à mal.

Par ailleurs, il ne faudrait pas que des intérêts aussi fous que ceux qui lorgnent sur la forêt Amazonienne et sont depuis longtemps en train de la détruire, viennent perturber cet écosystème, bien si précieux pou l’humanité. Ceci dit, bravo à toux ceux qui manifestent et prennent des initiatives en Belgique et ailleurs concernant le climat… vous voyez que, malgré le manque de WIFI , je suis quand même un peu l’actualité !

Tortel, une ville d’eau… de pluie !

De l’autre côté du lac du Rio Bravo, un chalet nous accueille gratuitement avec d’autres randonneurs : nous serons à l’abri et au chaud : chacun prépare son petit repas. Demain, nous prévoyons d’aller au village de Tortel, un village où – parait-il selon Philippe  – « il pleut 360 jours par an ». Je prévois de partir à l’avance, étant persuadé que mes copains finiront par me rattraper facilement dans un des cols !

C’est bien ce qui s’est passé : une étape très dure, rendue encore plus dure par une pluie soutenue. Tortel porte bien son nom : la ville la plus arrosée du Chili; en « Brusseleir », l’on dirait « le pispot » du pays. Dans cette ville, les maisons situées non loin de l’eau ne peuvent être atteintes que par des passerelles et des escaliers. Pour installer nos tentes, nous devons tout descendre (vélos et sacs) en plusieurs allers-retours. Nous installons nos tentes sur de petites terrasses en bois. A notre disposition, marteau et clous pour éviter que la tente ne s’envole. Oui ici aussi, nous retrouvons le vent !

Le lendemain matin, levé très tôt comme d’habitude, mon voisin vient m’aider à monter le vélo et les sacs jusque la place du village où les bus viennent chercher les passagers. Il s’agit d’un Australien qui voyage avec son épouse et leurs deux enfants de 6 et 8 ans et ce, à vélo et en tandem durant cinq mois. Ils prennent le départ comme nous vers le Nord.

Vers Cochrane

Ce dimanche 10 février, la pluie s’est arrêtée ; de temps en temps, nous bénéficions du soleil. Le soir avec l’équipe des Français, nous campons au bord d’une rivière. Vincent et Nicolas s’essayent à la pêche mais rentrent bredouille. Ils devront – comme souvent - se contenter de pâtes ! Quelques gouttes de pluie quand même, un arc-en-ciel s’ajoute au paysage. La journée n’a pas été trop dure en dénivelé. Demain, ce sera bien différent pour rejoindre la ville de Cochrane où j’espère avoir du WIFI pour communiquer avec Danielle et envoyer ce message.

Arrivés au sommet du col (5 km) : Léon, Vincent et Philippe

Cochrane - lundi 11 février 2019 – 18h30 heure locale

Bien arrivé à Cochrane après une journée interminable … alors qu’il n’y a « que » 62 km au compteur ce soir. Au petit matin (lever à 5h50) la tente est toute givrée mais je n’ai pas eu froid, la toile épaisse de ma tente Salewa (achetée en 2001 pour mon premier long voyage à vélo vers la Roumanie) garde la « chaleur humaine » ; quand à Vincent et Nicolas, ils ont eu froid … dans leurs tentes plus légères !

Je pars à l’avance comme d’habitude et ne serai rattrapé qu’à un km du sommet du col important de la journée (cinq km de long). Je suis fier de moi… je n’ai pas mis pied à terre durant l’ascension malgré les bagages. Dans la descente, Nicolas casse sa chaîne, bien vite réparée par une fausse-maille que je lui avais donnée. Au loin, on entend les hélicoptères qui tentent d’arrêter un feu de forêt. Le ciel bleu (c’est rare ici) est voilé par la fumée dégagée.

La dernière partie de la route semble interminable : de vraies montagnes russes avec en plus de « la tôle ondulée » sur une bonne partie de la route aujourd’hui. Les amis rejoignent Damien qui a pris une pause dans un « hostal » durant deux jours et est arrivé ici en bus. Quant à moi, je passe la nuit dans le camping situé au centre ville après avoir dégusté mon menu préféré du poulet et des frites au restaurant.

Il est vrai que lorsque l’on commande des pâtes au restaurant, l’on vous sert une quantité pour un moineau… c’est un peu « peu » pour un cycliste ! Quant aux courses pour la suite du voyage, je suis ravi : j’ai trouvé une bonbonne pour mon camping-gaz dans le magasin jouxtant le camping. Heureusement, car, vu les risques d’incendie, il est interdit de faire du feu le long de la route … le briquet que j’ai acheté ne servira donc pas … ce qui tranquillisera notre ami cycliste Philippe, un des Français avec qui j’ai parcouru une « belle » partie de la « Carreteira austral » !

Merci à celles et ceux qui ont répondu aux messages précédents ; demain mardi 12 février, je continue cette « carretera australe » vers Cohaïque … d’où j’enverrai le prochain message. Je vous donnerai des explications historiques concernant cette fameuse route, unique en son genre dans le monde … et empruntée par des dizaines de cyclo-randonneurs de tous les âges … de 7 à 77 ans (ouf, comme dirait aussi Philippe … j’ai encore le temps)!

Léon Tillieux

Dans la fameuse montée depuis le "lac du désert" vers celui d'O'Higgins avec le "Fitz Roy"