Voici la suite du voyage sur la « Carretera Austral » … une route avec beaucoup de rencontres de personnes voyageant avec des moyens très différents les-uns des autres. Une route avec beaucoup de solidarité, cela vous l’aviez déjà lu dans les messages précédents.

Le bleu du lac Carrera au Chili

De Cochrane à Coyhaique

Mardi 12 février, je ne me suis mis en route qu’après-midi à partir de la ville de Cochrane, d’où je vous ai envoyé le message précédent. A la sortie de la ville, surprise : la route est asphaltée. Certains diraient : « il doit y avoir des élections municipales prochainement ? ». Je ne sais pas; toujours est-il que c’est de courte durée : après 500 mètres, je retrouve le « ripio » mais amélioré; je puis rouler normalement toute la montée du premier col et la descente; ensuite je retrouve les graviers « roulant », ce qui m’oblige à mettre pied à terre souvent.

Peu de rencontres de cyclistes; deux filles de Santiago font un bout de la carretera. A mon avis, pimpées comme elles sont, elles viennent de prendre le départ : l’équipement (casques, vêtements, lunettes) semblent sortir tout droit d’un magasin de sports « new look » et n’est pas encore marqué par la poussière de la route. Courageusement, en poussant leur vélo, elles entament la côte que je viens de descendre (plusieurs kilomètres) en quelques minutes. Elles mettront s’en doute beaucoup plus de temps. Mais elles ont l’air de savoir que ce sera difficile, « carretera austral » oblige !

Deux jeunes de Santiago qui expérimentent la « carretera austral »

Le lendemain mercredi 13 février, alors que je prenais une petite pause dans un abribus à Puerto Bertrand, un village situé sur la rivière Baker (aux eaux d’un bleu rarement vu), un monsieur s’avance vers moi avec du chocolat. C’est un Finlandais, Taneli Roininen qui a voyagé durant 4 ans à vélo autour du monde et qui fait découvrir (en voiture) à ses parents et à sa compagne chilienne par où il est passé.

Lui sait combien c’est dur de voyager dans de telles conditions; c’est la raison pour laquelle, il me donne du chocolat (j’étais justement en manque) et également à une allemande qui vient d’arriver et prend la même direction que moi. Le lendemain, c’est un Polonais qui arrête son 4x4 pour me donner le même chocolat au lait : celui que j’aime !

Une famille finlandaise, une copine chilienne (à droite) et une allemande à vélo qui, comme moi, a reçu du chocolat pour reprendre des forces !

Heike, de Hanover, 44 ans (sur la photo à gauche) est partie de Ushuaïa fin décembre 2018; elle prend le temps (40 kms par jour); elle compte traverser l’Amérique du Sud et aller jusqu’au Canada. Deux, trois ans ou plus, le temps ne semble pas compter pour elle !

Le soir je plante la tente non loin d‘une rivière se jetant dans le lac Carrera, d’un bleu également éclatant ! Sûr qu’ici, il n’y aura pas de bruit … ce ne sera pas comme au camping de Cochrane, où des jeunes ont fait du bruit en jouant aux cartes et en rigolant sans retenue jusqu’à 4 heures du matin. Il y a comme çà des gens qui ignorent que la nuit est faite pour dormir, et que les autres ont besoin de respect.

Quant à moi, je préfère fuir les campings bruyants… sauf lorsqu’il me faut du WIFI et du courant pour recharger les batteries de mes appareils. Je préfère bénéficier du calme de la nuit champêtre que d’aucuns qualifieront de sauvage, rien de comparable au bord d’une rivière. Il s’agit de la même différence entre un lever de soleil et un feu d’artifice éphémère !

Durant deux jours, j’ai longé un lac immense, le lac Général Carrera; avec ses 970 km carrés, il s’agit du lac le plus étendu du Chili et le second lac en superficie d’Amérique du Sud, après le lac Titicaca (Pérou – Bolivie). Les Tehuelches, les habitants de la région (précédant les Conquistadores Espagnols) l’appelaient Chelenko; à leur époque, ils n’avaient sans doute pas de général à mettre à l’honneur.

Ce lac déborde sur le territoire argentin où il porte tout simplement comme nom « Buenos Aires ». Décidément les Tehuelches étaient mieux inspirés pour donner un nom aux lacs !

Le bleu du lac « Général Carrera »

Jeudi 14 février, j’arrive à Puerto Tranquilo à 15h. De suite je prends le départ d’une excursion en bateau sur le lac Général Carrera vers les « cathédrales de marbre » sculptées par la mer, il y a très longtemps. Etonnantes grottes et excavations – appelées cathédrales ou chapelles de marbre - où le bateau nous emmène. Au retour, le vent est devenu très fort. Nous recevons un équipement pour nous protéger de vent violent (encore lui !) et de l’eau projetée dans le bateau, où nous résistons !

Les « capillas » de marbre, sculptées par la mer

Vendredi 15 février, il est déjà 17h quand j’entame l’ascension d’un col qui me mène à 600 mètres d’altitude quand j’aperçois une dame et des enfants; je me dis « enfin je vais pouvoir rencontrer des habitants de la région» Et bien non : la dame me parle en Français, c’est une famille de Clermont-Ferrand qui campe dans le coin et qui voyage pendant un an, à vélo.

Partis de Lima, ils vont vers le Sud à raison de 20 km par jour. Les trois filles ont moins de 10 ans et c’est la maman qui donne classe chaque jour pendant une heure, dans la tente. J’ignorais qu’il y avait une école ambulante dans cette partie du Chili. Sûr que les enfants en garderont un souvenir impérissable.

Samedi 16 février, la route en « ripio » est particulièrement mauvaise; aussi c’est avec bonheur que j’apprends de la bouche de deux cyclistes chiliens venant en sens inverse que la route a été récemment bétonnée, 10 km avant d’arriver à Vila Cerro Castillo. Je décompte les kilomètres !

La route en « ripio » (tôles ondulées) provoquées par le passage répété des véhicules.

La nouvelle route : finie la poussière !

Marcher pour la paix durant 3 ans et sur plus de 30.000 km depuis l'Alaska, c'est le défi relevé par Norio, le japonais

Dimanche 17 février, après une nuit reposante dans une ferme, j’entame le col qui selon le fermier est très très long. Deux heures après mon départ, j’arrive au sommet : j’ai parcouru 10 km. Dans la descente, rencontre surprenante avec Norio Sasak, un japonais parti d’Alaska, il y a trois ans déjà. C’est qu’il n’a pas de vélo comme la plupart des cyclo-randonneurs que je rencontre. Il tire une charrette avec son matériel de camping. Il lui reste trois mois pour arriver à Ushuaïa… d’où je viens ! A raison de 30 à 50 km par jour.

Son amie Maki Nagahama l’a rejoint depuis un mois. Ils sont très heureux que je passe un peu de temps pour m’intéresser au projet de Norio. Quand je lui demande pourquoi il relève ce défi, il montre sa charrette sur laquelle il est écrit en anglais : « Je voyage à pied à travers le monde et j’ai expérimenté plusieurs situations de défis. Mais j’ai rencontré beaucoup de gens merveilleux, aussi vais-je continuer à marcher avec un sourire fier en espérant que cela aidera le monde à atteindre la paix ! »

Sûr que des gens comme Norio, il en faudrait beaucoup pour que le monde tourne mieux. Mais vous connaissez l'histoire du colibri qui essaye d'éteindre l'incendie : il fait ce qu'il peut, et c'est sa part ! Sûr que la part de notre ami japonais, c'est celle d'un fameux colibri !

En compagnie de Norio, marcheur infatigable qui aura parcouru plus de 30.000 km d’Alaska à Ushuaïa, pour promouvoir la Paix !

L’après-midi, je dois m’arrêter vers 15h : le vent s’est levé et il est difficile d’avancer sans se fatiguer inutilement. J’ai demandé l’hospitalité dans une ferme et j’attendrai un lendemain qui sera plus calme, espérons-le !

Histoire de la « Carretera austral »

Il est venu le temps de vous parler de l’historique de la « Carretera austral » sur laquelle je me trouve. Au début de mon voyage, je ne voulais pas en entendre parler, sachant combien les conditions de circulation sur cette route sont difficiles. Mon ami des Pyrénées André Etchélecou a tenté par deux fois de la parcourir ces dernières années avec chaque fois pas mal de problèmes. Mais rappelez-vous les conseils du vététiste de 75 ans d’El Calafate, qui m’ont convaincu de changer d’itinéraire.

Le long de la carretera austral, il y a de beaux chevaux !

Sur le guide touristique qui date de 1996 (mon premier voyage au Chili avec la FIMARC), le tracé de la carretera austral ne va pas au-delà de Cochrane. 20 ans après, la route a été tracée en « ripio » depuis O’Higgins, avec de nombreux ponts, ouvrages solides, obligatoires pour enjamber les innombrables rivières qui descendent des montagnes. Cette région australe était totalement isolée avant la réalisation de ce projet colossal.

Ce projet merveilleux est cependant lié au nom d’un personnage qui a marqué terriblement – en lettres de sang - l’histoire du Chili : il s’agit du Président Augusto Pinochet, installé (le 11 septembre 1973) avec la complicité de la CIA étatsunienne (un pays qui se vante de vouloir promouvoir la démocratie dans le monde). La « Carretera Austral Presidente Pinochet » qui a porté son nom jusqu’à ce qu’elle soit heureusement débaptisée, a été initiée selon ses ordres en 1976. Le tronçon central fut inauguré en 1983 et progressivement complété vers le Nord (Puerto Montt) et vers le Sud jusque Cochrane.

Du jeudi 7 février au samedi 16 février 2019, depuis le lac de O’Higgins jusque Vila Cerro Castillo, j’ai parcouru un peu plus de 500 km sur cette route de légende qui a été ouverte récemment et qui n’est pas encore ni bétonnée, ni asphaltée. Le fameux « ripio » empêche aux vélos de rouler normalement. En revanche, les véhicules à moteur, de plus en plus nombreux - tourisme oblige - soulèvent des tonnes de poussière lorsqu’il ne pleut pas.

Heureusement, en partant tôt, quand les touristes dorment encore où prennent le temps de prendre leur petit-déjeuner, l’on peut respirer un peu. Mais à partir de 10h, à certains moments, cela devient infernal, lorsque 10 voitures, camions et bus se suivent. Heureusement, à partir de ce 16 février, je suis sur les tronçons bétonnés ou asphaltés; il y aura encore de temps en temps des passages en « ripio », pour que l’on n’oublie pas par où l’on est passé et sué !

Revenons un temps à Pinochet. Il semblerait selon certaines sources que le travail de ce projet d’ouverture d’une route par ailleurs essentielle pour le désenclavement d’une région aux potentialités énormes, notamment en matière de tourisme, a été rendu possible par le concours de nombreux jeunes miliciens, durant les années 1976-1980. Plusieurs sont morts dans des conditions de travail très difficiles. Ici, en effet, l’hiver est terrible ! De temps en temps au bord de la route, un écriteau rappelle le « sacrifice » de soldats morts lors d’accidents.

Le sang d’un soldat, qui selon l’expression souvent utilisée sur les monuments de guerre « jamais n’a été versé en vain. » A mon avis - mais vous savez que j’ai souvent un avis différent - c’est le contraire qu’il eut fallu écrire !

Je suis bien arrivé à Coyhaique, capitale de la Patagonie, ce lundi 18 février 2019, malgré une brève pluie le matin et un vent très fort de face. Heureux de vous envoyer ce message; je vous retrouve dans une semaine. Il me reste 850 kms à parcourir en trois semaines jusque San Carlos Bariloche en Argentine.

Léon Tillieux

Montée en lacets, avec beaucoup de lacets durant 5 km