Vous avez été nombreux à répondre à mon message vous contant mon voyage de Carthagène des Indes à Santa Marta. Concernant mes propos concernant la colonisation, notamment en Afrique, il est clair que l’émission évoquée n’en a pas rappelé les effets positifs. Par exemple, avant 1960, il est évident que hôpitaux, écoles et routes étaient dans un meilleur état alors que depuis l’indépendance. Je rappelle simplement que le propos de l’émission sur Arte était de retracer l’historique des « décolonisations » dans les continents du Sud et surtout des raisons qui ont poussé des hommes et des femmes à se libérer du joug des puissances coloniales. Avec des avancées positives certainement selon les pays mais aussi avec beaucoup de souffrances, d’injustices, de guerres souvent inutiles, de scandales et de corruption qui continuent à marquer ces pays… comme chez nous également. Pour en parler, il faudrait encore certainement beaucoup d’heures d’émission.

Revenons à mon voyage vers le Sud. La chaleur est toujours aussi élevée : tous les jours plus de 40 degrés, cela me rappelle les pics de chaleur en Belgique de juin, juillet, août 2019. La première nuit, je me suis installé dans un passage souterrain sous la route nationale… choisie par des centaines de camions, bus et voitures. Pas de tranquillité avec seulement une petite pause entre 3 et 5 heures du matin. Le matin, je me suis rafraîchi dans une petite rivière à l’eau limpide. Quel bonheur !

Aussi ce vendredi 17 janvier 2020, je me suis payé un petit hôtel avec douche et ventilateur. Les « hôtesses » d’accueil âgée de 10-12 ans ont communiqué avec moi en Français via un traducteur de Google pendant que le gérant ne décollait pas de son fauteuil (voir photo) pour répondre à mes questions. La jeunesse a sans doute plus d’avenir à mon avis !

De ferme en ferme

Depuis quelques jours, j’ai de la chance lorsque je demande l’hospitalité. Généralement, cela marche à la deuxième ou à la troisième demande. Pour plus de facilités, je me suis acheté un hamac, ce qui me permet de dormir à un endroit de la ferme où il est possible de l’accrocher. Car dans la tente, ce ne serait pas possible de dormir vu la chaleur qui se fait sentir jusque tard dans la nuit.

La première fois, le propriétaire m’a laissé seul car il ne dormait pas là. La seconde fois, le couple m’a offert des pomelos (sorte de pamplemousse) et du chocolat chaud avec des petits pains. Chaque jour, à midi, je mange du poulet accompagné de frites (dans un resto au bord de la route). Je n’ai pas encore trouvé de bonbonne de gaz (Primus ou Coleman) pour mon réchaud.

Levé à 5h, je démarre à 6h, juste au moment où le jour se lève, ce qui me permet de pédaler lors des heures « fraîches » de la journée. A partir de midi, cela devient très dur à cause de la chaleur.

Dans une ferme, un des fils revenu pour le weekend, travaille pour une société d’exportation. Il m’a expliqué que la Colombie a d’énormes réserves de charbon, convoitées par des sociétés essentiellement étatsuniennes et suisses. Le charbon est exporté vers des pays comme l’Allemagne ou l’Autriche, et même en Chine. Une façon de suppléer à l’énergie des centrales atomiques en voie de disparition par des minerais venant d’Amérique du Sud… le système « colonial » continue.

En Allemagne, le charbon remplace le nucléaire ; en Belgique, normalement le nucléaire devrait petit à petit voir ses dernières années de vie, si un jour nous avons un gouvernement fédéral et si celui-ci parvient à fermer les centrales en 2025, 2030, … ? Quant aux Chinois, l’Afrique ne leur suffit pas pour chercher à satisfaire leurs énormes besoins énergétiques, il est vrai d’une population débordante.

Quant je suis passé sur un pont surplombant la ligne de chemin de fer allant approvisionner en charbon les wagons à destination du port de Santa Marta, ce sont des centaines de wagons qui ont défilé sous mes yeux. Comme les centaines de camions qui me dépassent ou me croisent chaque jour, transportant un tas de produits de plus en plus nécessaires à notre société (chez nous, en Chine ou ici aussi en Colombie) de plus en plus consumériste…des produits dont nous ne parvenons plus à nous passer. Tout comme nos yeux restant de plus en plus rivés sur ces petits écrans tant attractifs que sont les smartphones ! Même si ceux-ci peuvent être parfois utiles pour communiquer ou chercher quelque chose d’introuvable.

Mais revenons aux petits gestes qui me rafraîchissent la vie ici comme un jour lorsque deux policières à moto m’ont offert des morceaux de pastèques… hyper fraiches ! Par cette chaleur, cela ne se refuse pas ! Avec en plus pour le même prix le sourire, j’allais dire de la crémière… mais non des policières ! Un peu plus loin, ce sont des ouvriers chargés d’asphalter les routes (« quel métier par cette chaleur ») qui m’ont offert une limonade et une « aguaçita » hyper gelée qu’ils tiennent en réserve dans de grands frigoboxes.

Ce mercredi 22 janvier 2020, je profite d’un orage pour mettre à jour mes notes de voyages. La pluie d’orage abondante me retient dans un garage où je suis bien à l’abri. La nuit passée, j’ai été accueilli par un couple, Elisabeth et son mari dans leur petite maison située dans une plantation de palmiers à huile. Ils ont été très réticents à m’accueillir pour la nuit car ils craignaient que le propriétaire n’arrive. Celui-ci comme beaucoup de grands propriétaires « n’aiment pas les étrangers », ignorants sans doutes qu’ils sont eux-mêmes, dans un passé lointain peut-être, descendants d’étrangers venus conquérir le « nouveau monde ».

Quoiqu’il en soit, mes hôtes ont caché mon vélo et m’ont invité à dormir dans une chambre et non pas à vue dans un hamac sous l’auvent. Et puis, il y a aussi le risque de voleurs qui peuvent débarquer à toute heure de la nuit, à moto cagoulés et armés comme ceux qui sont venus voler la maman de celui qui m’accueillait ce soir-là. D’où ces précautions… !

Elisabeth et son mari m'ont accueilli au risque de déplaire au propriétaire de leur ferme

Ce jeudi 23 janvier 2020, par trois fois, j’ai croisé des réfugiés Vénézuéliens ; ils marchent en famille parfois avec des enfants le long de la grand-route, ne sachant pas exactement où aller, avec une valise, un couchage, un peu d’eau, un peu de vivres. Selon le mari d’Elisabeth, certains parviennent à se débrouiller et en quelque temps ouvrent une échoppe au bord de la route.

Certains voudraient bien prendre la place des Colombiens qui trouvent un emploi (de ce que l’on appelle l’économie informelle) en tentant au beau milieu de la route, surtout aux péages, de vendre quelques boissons ou un peu de nourriture aux camionneurs qui ne prennent guère de temps de s’arrêter, laissant cependant derrière eux quelques « noires » bouffées de pollution.

Cette famille a parcouru à pied la distance Venezuela - Pérou - Colombie
soit des milliers de km

Mais la cordillère arrive, la montagne est là et il fait plus frais.

A partir du 26 janvier, j’ai quitté la plaine où coule le fleuve majestueux qu’est la Magdalena et où j’ai parcouru plus de 700 km depuis Santa Marta. Et oui comme le mot l’indique, je suis venu retrouver les Andes. Medellin est en vue mais le rythme journalier diminue d’autant plus que lorsque la pente se relève, je suis obligé de descendre de vélo et de pousser, parfois sous un soleil tapant, celui qui porte mes bagages. Et comme j’en ai trop, surtout des vêtements en prévision du froid et de la pluie, ayant toujours en mémoire les conditions difficiles de Patagonie (2018, 2019) et des Andes péruviennes et boliviennes (2009) et chiliennes (2013).

Ce lundi 27 janvier, en quittant la petite ville de Cisneros où il y a encore le vestige d’une locomotive à vapeur d’une autre époque, un ouvrier des routes m’a donné un peu d’eau fraîche, me souhaitant bon courage pour les 8 km d’une montée que j’ai parcourue en deux heures !

Comme accueil le soir, il est toujours aussi bon avec certains soirs, un repas offert avec du riz et des petits poissons péchés dans l’étang voisin et fris. Parfois les parents cherchent à savoir le but de mon voyage et comment l’on vit en Belgique. Pour la plupart, ils ont peine à s’imaginer qu’il faut traverser un océan pour venir chez eux. Cela n’empêche pas leur amitié de transcender les frontières.

La famille d'accueil tout sourire !

Bien arrivé à Medellin

Ce mardi 28 janvier, la route était moins accidentée que les deux jours précédents. Plusieurs cyclistes m’ont dépassé. Francisco s’est arrêté, m’a donné un peu de ravitaillement ; nous avons échangé sur le cyclisme qui se développe pas mal en Colombie, même s’il estime que le gouvernement n’apporte pas assez d’appui.

Résultats probants : les prestations des coureurs colombiens en Europe dans les grands tours : Nairo Quintana (Italie, Espagne) et l’an passé sur le tour de France le tout jeune Egan Bernal. En arrivant dans la banlieue de Medellin, un jeune cycliste m’a renseigné un hôtel situé tout près du terminal du métro. Génial, en 15 minutes, j’ai voyagé en métro jusqu’au centre de Medellin.

Ce mardi après-midi et demain mercredi au matin, je visite le centre ville. Pas terrible, je ne vais pas m’attarder ici d’autant plus que le long parcours accidenté de la route transandine m’attend avec ses difficultés (encore 1.300 km après les 1.100 déjà parcourus en partie sur le plat).

Comme dans la plupart des grandes villes latinoaméricaines, les familles pauvres s'entassent dans des bidonvilles

Conférence du Conseil Episcopal Latino-américain (Medellin 1967)

Pour les initiés s’intéressant à la théologie de la libération, Medellin occupe une place très importante. Alors que dans la foulée du Concile Vatican (1962-1965), quelques évêques dont Mgr Himmer (de Tournai) et Helder Camara (archevêque d’Olinda et Recife au Brésil), s’étaient jurés, par le « pacte des catacombes » de pousser l’Eglise catholique vers les plus démunis, la plupart des évêques latino-américains s’engageaient résolument pour « l’option préférentielle pour les pauvres », ce qui allait devenir la base de la controversée théologie de la libération.

Paul VI en visite en Colombie en 1967 appuya cette théologie qui en était à ses premiers essais avec le théologien péruvien Gutierrez, les frères brésiliens Boff et d’autres encore. Ses successeurs Jean-Paul II et Benoit XVI donnèrent chacun un fameux coup de frein à cette théologie libératrice et il fallu attendre François (le premier pape latino-américain) pour réhabiliter Gutierrez et compagnie et redonner un peu d’espoir à celles et ceux qui dans ce vaste continent, luttent à côté et avec les pauvres.

Après ce petit rappel historique qui fera certainement plaisir à mon ami jambois Jacques Briard, je joins quelques photos et commentaires de ce voyage en terre Andine qui n’est pas de tout repos mais qui me refait découvrir de très beaux paysages de montagne très verts. Je crois me retrouver en mai 2009 dans les Andes équatoriennes.

Dans un bon mois, je serai de retour à Quito.

Non pas du Far-West, je suis colombien !


Au train où vont les réparations, je préfère mon vélo pour arriver au bout de la traversée des Andes !

Sous la pluie battante, cette tortue voulait traverser la route, je l'ai replacée dans l'herbe du champ voisin

Les réfugiés n'ont pas perdu leur sourire

Au marché de Medellin

Les beaux poissons du marché de Medellin

Une zone 30 intelligente : la limitation est d'application quand il y a des élèves